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Hervé LE TELLIER

Assez parlé d'amour


Qu’est-ce qu’un couple ? Comment se forme-t-il ? Comment peut-il durer ou se dissoudre ? Comment deux couples, donc quatre personnes peuvent constituer différentes combinaisons et se démultiplier ? Hervé Le Tellier avec son humour et son sens de la construction narrative nous promène dans son univers fictionnel pour nous guider vers les interrogations de toute vie de couple.

Un psychiatre, Thomas Le Gall, vit une aventure avec Louise qui est avocate et mariée à Romain. Anna Stein est médecin, son mari Stan aussi. Elle va rencontrer Yves Janvier qui est écrivain et va quitter Ariane. Thomas est le psychiatre d’Anna et s’intéresse à Yves dont elle lui parle. Thomas ne peut s’empêcher d’analyser : « Un homme attentif apprend toujours plus, et plus vite, des bons auteurs que de la vie. Peut-être parce que l’analogie est forte entre psychanalyse et écriture. L’écrivain comme l’analysant veut être entendu, reconnu, et craint d’être englouti par la pensée et par le langage. Sans doute Thomas perçoit-il aussi Yves comme un double de lui. Peut-être même Anna Stein a-t-elle conscience de cette lecture possible, à ce tournant de l’analyse. Il s’inquiète soudain que sa propre histoire ne s’insinue entre Anna et lui. »

Chaque chapitre donne la parole à l’un des personnages ou à un couple : Thomas, Anna, Thomas et Louise, Anna et Yves, Anna et Stan, Louise, Yves, Thomas et Yves, Yves et Ariane… Hervé Le Tellier fait un clin d’œil à la construction de son livre La chapelle Sextine où s’entremêlent treize hommes et treize femmes, où sensualité et humour sont présents : « Décidément, se félicite Philippe, les baisers sont comme les cornichons du bocal. Quand on parvient à obtenir le premier, le reste vient tout seul. »

Il y a aussi un clin d’œil à Je m’attache très facilement, roman d’Hervé Le Tellier, où un écrivain qui se sent vieillir va rejoindre en Irlande une jeune femme qui ne souhaite pas continuer leur relation. Beaucoup d’ironie sur cet homme qui court après l’amour. Dans le dernier roman d’Yves Janvier, le personnage est un écrivain qui vit aussi une débâcle sentimentale en allant rejoindre une jeune femme en Irlande. Les livres d’Hervé Le Tellier se donnent la main.

Ce roman est plus qu’un roman où l’amour et ses questionnements sont le fil conducteur.
Beaucoup d’analyses intéressantes émaillent le texte : « Alors, ce dont il veut faire usage, ainsi ces aires de Broca qui contrôlent la parole, il le note pour ne pas l’oublier, ou plutôt pour pouvoir l’oublier. Ce qui lui reste en mémoire est trop souvent de l’ordre de l’anecdote. Mais qu’est-ce souvent que le savoir pour certains, sinon l’addition organisée d’anecdotes ? »

Les questionnements sur l’écriture ponctuent le roman ainsi que les réflexions sur l’amour ou le désamour : « Yves va rompre avec Ariane. Il songe que s’il n’avait pas rencontré Anna Stein, cela aurait pu durer longtemps. A moins qu’il n’ait rencontré Anna Stein parce que cela ne pouvait plus durer. Le balancement des deux phrases le séduit, il les note dans son carnet. »

La mise en page est au service du texte. On assiste avec Stan à une conférence sur l’écriture donnée par Yves Janvier qui est l’amant de sa femme. D’un côté de la page dans la colonne de gauche, le texte de la conférence, dans la colonne de droite sur la même page les pensées de Stan où l’humour est toujours au rendez-vous : « Et puis ce texte absurde qui ne démarre pas qui ne raconte rien qui s’installe quelle complaisance quelle prétention la salle écoute tout de même quelle contrainte d’écriture simple intégrer dans chaque entrée le mot étranger ah oui c’est assez simple vraiment et déjà tout à l’heure le coup du verbe s’étranger s’étrangler elle était vraiment nulle celle-là ».

Hervé Le Tellier est un Oulipien. Il fait là de l’autodérision, il joue avec les contraintes tout en s’en moquant.
Les problèmes les plus graves peuvent être abordés dans un contexte où il faut aussi faire rire. Louise construit un plaidoyer où elle va parler de l’extermination des juifs dans le cadre d’une soirée qui est un concours d’éloquence du barreau de Paris.
Et nous retrouvons les jeux d'écriture avec les Quarante souvenirs d’Anna Stein.
Bref, beaucoup de bons moments, drôles, érudits, émouvants. La mise en mots et la mise en page de la fiction agissent comme un révélateur de la réalité où chacun peut se retrouver dans les émotions vécues par les personnages tout en vagabondant dans les mystères des contraintes littéraires.

Brigitte Aubonnet 
(03/12/09)    



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Éditions JC Lattès

280 pages – 17 €





Hervé Le Tellier
sur le site de l'OULIPO :
www.oulipo.net/
oulipiens/HLT






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