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Michèle LESBRE

Nina par hasard


Nina est depuis quelques mois apprentie coiffeuse dans un salon de Roubaix.  Elle vit seule avec sa mère, Susy, ouvrière dans une des dernières petites usines textiles du Nord. Un quotidien qui s’annonce assez gris. « Le salon de coiffure est une sorte de mensonge. En attendant. » « Les jours ne ressemblent à rien. Je me lève, je vais au salon, je tripote des cheveux et des crânes, je fais des shampoings et des shampoings, je passe des crèmes démêlantes sur les pointes, j’entends "c’est chaud", "c’est froid", je cours prendre le bus 25, je rentre, je me couche. C’est tout. »
Alors Nina, (prénommée ainsi « par hasard » dixit sa mère) se réfugie souvent dans la douceur des souvenirs d'enfance où elle retrouve son père et son grand-père, tous deux disparus. Agacée par l'assiduité et l'amour que Stef lui porte depuis l'école primaire, elle rêve de départ en espionnant les silhouettes qui se dessinent derrières les fenêtres de l'hôtel Splendid situé  en face de chez elle. « Un jour il se passera quelque chose. C'est peut-être aujourd'hui. » 
Arnold, l'oiselier dont la boutique est le refuge de Nina depuis l'enfance, lui semble le seul à la comprendre. Un original qui l'appelle « sa mouette » et l'emmène au théâtre voir la pièce de  Tchekhov à la rencontre d'une autre Nina et d'un ailleurs possible.
La mère, une « rousse aux yeux verts, pas très grande, plutôt sexy, peut-être un peu trop ronde depuis son dernier chagrin d’amour », a aussi ses fuites : elles portent le visage de l'amour, celui des amants successifs après la séparation d'avec le père puis celui de Ricco qui partagera la vie de la mère donc de la fillette. L'enfant désapprouve mais a compris que la passion permettait à sa mère d'oublier ce labeur répétitif et exténuant qu'elle exécute sous la surveillance tyrannique et malveillante du contremaître, au côté des autres ouvrières. « Il y en a parmi elles qui sont entrées là à quatorze ans, dont la mère y était déjà, et parfois toute la famille. Avant le patron était le père de celui d’aujourd’hui (...) et encore avant le grand-père. Depuis toujours on entre dans l'usine rouge, ces murs en brique, cette deuxième maison où on vieillit dans le bruit et la fatigue. » Heureusement, dans le vestiaire ou à la pause, les femmes racontent les petits bals du dimanche et les bonheurs fugaces, rient des hommes, disent le grand amour tant espéré, partagent leurs espoirs et leurs soucis. Une communauté où la solidarité tient chaud. Quelle place pour Nina dans une vie aussi remplie ? Quel avenir ?

Le roman ouvre la porte donnant sur ce petit monde en saison hivernale. Il neige. Susy, épuisée par une année ponctuée de luttes syndicales et marquée par le départ de Ricco, va avoir quarante-deux ans. Nina profite de son jour de congé pour lui trouver un cadeau d'anniversaire à la hauteur. Après quelques hésitations, elle se décide pour un week-end en tête-à-tête avec elle à Malo-les-Bains, au bord de la mer.
C'était sans compter avec le poids de l'usine et de la vie, le patron cynique qui vient tous les vendredis au salon de coiffure, les trois doigts coupés de Christine, le comportement sadique du contremaître nommé Legendre, la grève, le bocage de l'usine, l'accident de la meilleure amie de Susy nommée Louise, les menaces de fermeture et de chômage...

Un roman court qui, à partir du récit de quatre journées vécues par Nina et quelques flash-back judicieusement choisis, sur fond d'une description juste et sensible du monde ouvrier, de son effondrement en perspective, de la belle solidarité qui lie les ouvrières et leur permet de tenir, dit le Nord de la France et les gens simples, les femmes plus particulièrement, qui l'habitent. Leur quotidien, leurs rêves de jeunes filles puis de femmes, leurs difficultés à vivre et à être, constituent la texture même du récit. Dans ces existences banales et difficiles, les hommes, quand ils n'incarnent pas la brutalité, l'autorité ou la lâcheté, ne sont pas d'un grand secours. Père disparu et toujours espéré, mari, amant, elles n'en attendent, au mieux, que l'amour pour se sentir vivantes.   
C'est dans les sentiments, la révolte devant l'injustice, la détermination à sauver les leurs, leur soif de bonheur, qu'elles ancrent leurs luttes et non dans le discours. Les femmes, ici, sont  courageuses, combatives,  et,  que ce soit entre collègues du salon de coiffure ou  à l'usine, c'est d'être ensemble, de partager rires et difficultés, qu'elles tirent leurs forces.
La jeune narratrice écartelée entre attachement profond à sa mère, à son enfance et envie d'un avenir à elle, loin, autrement, est attachante et vraie. La peinture de ce Nord en demi-teinte loin des caricatures cinématographiques à succès, est fine et dégage dans sa simplicité une authenticité qui fait mouche.
On retrouve ici le va-et-vient permanent entre passé et présent, le recours au cœur du pur réalisme social aux insertions  poétiques, à la littérature et à la rêverie, l'envie d'ailleurs et la sensibilité, qui, de livre en livre, sont la marque de l'auteur et on s'en réjouit.
Ceci n'est pas un conte de fée et le blocage de l'usine ne se fera pas sans drames mais ce sont, au final, la profonde humanité, l'énergie et l'espoir et non l'accablement qui se dégagent de ces splendides portraits de femmes portés par une écriture fluide et lumineuse.

(Nina par Hasard a été publié une première fois, en 2001, aux éditions du Seuil.)

Dominique Baillon-Lalande 
(05/02/11)    



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Lectures










Sabine Wespieser
Editeur

190 pages - 18 €






Michèle Lesbre

a déjà publié onze livres et obtenu plusieurs prix littéraires dont le Prix Pierre-Mac-Orlan, le Prix Millepages, le Prix des libraires Initiales...






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