Alexandra LEMASSON

La Petite Folie


Il y a dans le premier roman d’Alexandra Lemasson ce que son titre, La Petite Folie, contient et libère, délivre dans son contenu. Il y est question de folie, bien sûr, mais qu’une certaine légèreté et un certain humour préservent de tout abus catastrophique. Folie, oui, mais petite elle se tient, juste ce qu’il faut, au bord du gouffre au fond duquel, hélas, on peut toujours sombrer pour n’en jamais revenir. Le gouffre, la mort, Antonin Artaud l'a dit. Ici, elle est retenue, la petite folie, par un fil de mots, fragile.
"Un matin je me suis réveillée et je n'ai plus rien reconnu."

Petite, la folie n’en est pas moins inquiétante et dangereuse, et sur ce plan on est servi, doublement puisque Sara et Anna, embarquées dans un flot de maux et de mots, ont en commun plus qu’une voyelle qui ouvre simultanément la bouche et l’alphabet, le corps et le sens. Dites “Aaaa”. Voyelle ouvrant sur le langage du pathos et le pathos du langage. C’est pareil, tout est mot. Mais sans pathos. Inutile d’en rajouter. Quel mot dire, alors ? C’est cela qui est difficile. C’est la difficulté même de l’écriture et, pour les personnages, de la parole, d’une écriture et d’une parole qui se cherchent et ne se trouvent qu’en cette quête incessante, qui sont cette quête. Anna face à Sara, Sara face à Anna, les deux épiées par le même psy, chacune face à elle-même, entrelacs de dires. Pôle perdu, la boussole du sens s’affole.
"Autrefois je n'avais aucun problème particulier : parler m'était familier. Aujourd'hui j'ai l'impression de ne plus savoir comment on fait. Les mots me deviennent étrangers."

Oui. Mais il y a parler et parler, et la "parole parlante", dirait Merleau-Ponty, ne court pas les rues, sinon en zig-zag. Rien ne va plus de soi quand le soi ne va plus et bascule. Le soi ? Aliéné. Un trou de mémoire, un rêve, une sensation à peine éprouvée aussitôt évanouie, un mot au bout de la langue, un décollement entre son et sens, une béance, un puits où Alice — encore un A —, tombe avec la légèreté qu'on lui connaît. Être soi-même, quelle affaire ! Qui m’aime me suive, on n’a pas trop d’une vie. Quand je me pense, qui pense à moi ? Autant s’atteler à remplir une passoire.

Pourtant, Alexandra Lemasson y croit, elle, au moi, à ses émois, elle a raison, on n’a pas mieux à se mettre sous la dent. En tout cas elle le traque, et cela n’a rien à voir avec une littérature nombriliste ou geignarde, soi-disant intimiste, en réalité voyeuriste ou racoleuse. Elle veut y croire parce que la réalité est là, en face, étonnante et encore étonnante, présente jusqu’à la saturation, alors pourquoi pas le moi, aussi présent, face à elle et tout aussi réel, ou aussi peu ! Une seule chose à faire, le laisser prendre la parole, s'en saisir, la faire sienne. Il ne sera jamais que ce qu’il aura su dire, de lui et du reste, et qui le fait (se) tendre vers lui-même, inachevé et content de l’être. Il ne faut pas le laisser tomber, voilà.

Dans un style au plus près de l’avènement du réel et du surgissement des mots, là où le symptôme est roi, au rythme de la conscience qui butte contre son propre délitement, comme quand on dit : que m’arrive-t-il ?, Alexandra Lemasson parvient à suggérer l’ineffable, jusqu’au dénouement, là où tout se noue, pour notre plus grand plaisir. Elle travaille la langue au ciseau et invente une musique, une petite musique, légère et authentique.

Jean-Jacques Marimbert 
(10/02/09)    

Pour consulter la fiche auteur de Jean-Jacques Marimbert : http://www.crl.midipyrenees.fr



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Editions Léo Scheer

197 pages - 17 €










Alexandra Lemasson
est comédienne, chroniqueuse littéraire et écrivain. Elle collabore au Magazine littéraire et à Atmosphères. Elle est l’auteur de Virginia Woolf (Gallimard, coll. « Folio Biographies », 2005).
La Petite Folie
est son premier roman.