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Jacques LAYANI

Le Château d'utopie


Les nouvelles de Jacques Layani fixent des fragments de vie, à l’occasion d’un événement qui peut être dramatique – un meurtre, un viol, un accident mortel – mais qui se révèle tout aussi bien un incident infime, autour duquel l’auteur tisse avec délicatesse un réseau subtil de sentiments et de sensations.

Un ouvrier, bientôt chômeur, voit son quotidien morose illuminé par une rencontre féminine. Le jardinier d’un parc s’attache silencieusement à une jeune fille qui vient tous les jours, à la même heure, boire un chocolat à la buvette. Un libraire évoque une journée comme les autres, tissée de rencontres et de nostalgies. Un dessinateur souffre de la sclérose inéluctable de son inspiration. Une femme quitte un homme. Un jeune professeur d’arts plastiques s’apprête à faire cours …

Dans chacune de ces situations apparemment banales, l’auteur s’attache à restituer ce que l’instant fugace a d’irremplaçable, à le sublimer en en exprimant toute la richesse. Ce sont les nuances des feuilles mortes en automne, « du roux, du brun, du fauve, de l’ocre, toutes les nuances du jaune, du vert, du marron. Quelle palette ! ». Ce sont « les saules et les peupliers qui bruissent » dans la voix d’une femme. C’est la rumeur d’une pluie joyeuse qui repeint le monde à ses couleurs. « La manne, précieuse pour les uns, ennuyeuse pour la plupart des autres, rebondissait en un cliquetis sur le toit tendu des parapluies, qui se tordaient d’aise ou de rire. Les flaques s’esbaudissaient, sautaient sur le passant, et parfois, aidées par les roues des véhicules, se ruaient sur l’ennemi. Quelques rafales venaient manger le dessous des imperméables. Selon l’angle d’attaque, elles plaquaient le vêtement contre des jambes magnifiques ou faisaient s’ouvrir des corolles autour des femmes.(…) Tels des grenouilles, les agents en pèlerine s’épanouissaient en trapèzes noirs. »

Cette délicatesse des sensations n’empêche pas nombre de ces nouvelles de s’inscrire dans une réalité sociale des plus contemporaines. « Le Temps d’être un autre » évoque ainsi les quartiers pauvres : «  Banlieue défavorisée, ignominie, désarroi, peu importe, Hugues s’en va. Le mouvement l’arrache aux immeubles trop hauts, aux femmes aux yeux lourds, aux enfants qui vont à l’école parce qu’à la cantine, au moins, ils mangeront de la viande. » Dans « Le lyrisme n’est pas encore un chef d’inculpation » le héros, Mernèse, souffre des laideurs et de la médiocrité du monde moderne sans pour autant cesser de croire en un avenir où « se produira une révolution véritable de la pensée et des cœurs. »

Enfin, Le Château d’utopie est servi par une écriture élégante et riche en métaphores qui confèrent aux textes une poésie pénétrante et originale parfois proche de la préciosité, tel ce blason d’une femme aimée : « Son front, pâleur tranquille des idées douces. Ses cheveux, pointes plus brûlantes que ses paroles. Ses yeux, départs lointains, rires sans retour. Son nez, insurrection de son âme immense et révoltée. Ses oreilles, mirages de ses fièvres ardentes. Sa bouche, scène illuminée sous les bravos. Sa langue, colline ronde où il lècherait l’humus. »

Le recueil de Jacques Layani offre donc à l’amateur de nouvelles un ensemble de textes forts, qu’une écriture frémissante imprime dans la mémoire du lecteur.

Sylvie Huguet 
(12/04/07)    



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Editions D'un noir si bleu

200 pages
15,50 €