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Christiane SINTÈS, photographies
Ahmed KALOUAZ, texte


Traversées


Ces traversées sont plusieurs cheminements réalisés par Christiane Sintès qui ont pour fil conducteur "les chemins d'eau" et "les chemins de terre" de Solignac : le chemin de fer qui traverse la commune, l'église, le lavoir, le café, ces bâtiments anciens qui inscrivent le bourg dans le temps, la présence du fleuve qui en agrémente le paysage. De l'eau, surtout, de la verdure et des pierres.
Ses photos, loin de dresser un état clinique des lieux, usent du flou, de la surexposition et des taches de lumière, de couleur parfois, jouant sur le paradoxe de l'apparition et de la disparition pour animer campagne et façades.

En écho aux clichés, des textes poétiques d'Ahmed Kalouaz. Une voix surgit de l'intime. Elle sort de la gare :
« Là où l'on pose la vie, poignée de valise vissée sur un malentendu,
salle des pas perdus, cette impression d'arriver quelque part,
où nul ne vous attend.
 » (Là où on pose)

longe le fleuve :
« Tout tangue et chavire, aux têtes ivres au soir des grandes fêtes,
des accolades, de l'amitié vive, ce chemin de halage
où se logent les peines, les nuits de défaites.
Et lorsque sur l'eau la lumière tombe, elle cueille la beauté,
au hasard d'un regard, d'un visage
ou l'ennui qui gronde comme un orage au loin.
 » (Il tangue et chavire)

pénètre le bourg :
« Chutes d'eau, clapots,
et puis, à peine un peu plus loin, le silence des pierres.
Un pas, on vient. (…)
Une hirondelle nichée sur une poutre du lavoir.
Le craquement du bois repu sous le soleil caressant les tuiles. (…)
La danse des talons s'éloigne, à nouveau poème de l'eau,
abondance du frais, des lumières qui dansent à la surface.
 » (Chutes d'eau)

« Voici venir ailleurs une ombre coupant la route cœur battant,
il n'est plus d'autre rôdeur qu'un renard à ces heures,
ruelles alanguies aux reflets ocre,
gares désertes pour toujours,
il n'est plus d'autre issue que d'aller de l'avant.
 » (Pour peu de temps)

Kalouaz, comme précédemment dans certaines de ses nouvelles,
projette dans l'incertitude des contours ses propres souvenirs, réels ou rêvés, peuplés de femmes fantômes :
« Je crois voir sa silhouette aller sur le blanc des mots,
sur la route où l'avenir se traîne, une lanterne inutile dans la brume.
 » (Elle a toujours)

berce sa promenade, face au temps qui lui coule entre les doigts, d'une douce mélancolie :
« Le temps me presse en paroles impatientes
en attentes inavouées,
et la descente est lente vers le cœur des forêts.
 » (Le temps me presse)
« Savons-nous faire autre chose que vivre,
dans ce fragile déambulement du temps,
cette frêle lueur qui nous tient éveillés ?
 » (Fumerolles)

Le recueil s'achève sur un discret mais vibrant hommage à Jean Ferrat qui nous a quitté il y a peu :

« La neige est tombée sur les amandiers,
au bout de ce dimanche en bordure d'hiver.

Hier quelques épaules dénudées de belles étrangères
allaient du pas léger de celles qui ne croient pas aux hirondelles.

C'est comme un grand silence posé sur les arbres,
des ombres qui frissonnent sous le noir et blanc.

Dans le soleil qui vient, une chanson retient son souffle,
une voix descend de la montagne.
Elle parle du pays et d'amour cerise,
elle raconte les temps de nuits et de brouillards.
Elle promet des gerbes de lendemains meilleurs.

Le soleil s'est levé aux portes des Cévennes,
et deux bras de rivière enlacent tendrement
des silhouettes chahutées par la peine.

Et chacun de se dire, qu'il chantera là-haut pour ses amis,
pour les étés chauds, pour l'amour ou pour les yeux d'Elsa,
pour ne pas voir passer le temps.

La nuit revient et nous voici, orphelins d'une part de rêve,
d'une once de jeunesse dont on entend le cri, ou l'ultime promesse,
lorsque l'idée d'aimer, nous faisait perdre la raison.

Demain certains iront prier,
d'autres iront marcher, avec des poèmes plein la voix,
un brin de poésie sous chaque pas.
 »

Ce n'est pas une découverte, la langue de Kalouaz est belle, gourmande du simple plaisir de la musique des mots et de son pouvoir d'évocation. Elle nous porte.
Le flou des photos de Christiane Sintès entre naturellement en résonance avec l'imaginaire de cet artisan du verbe qui, de livre en livre, fouille, précise son univers poétique, en toute liberté formelle.
La promenade, tour à tour, se fait d'un pas léger ou laisse une empreinte profonde dans la terre humide, mais est toujours porteuse d'émotion.
Cet éblouissement devant la vie, cette tendresse pour les autres, cette rêverie qui prend son temps et cette attention aux petites choses et aux sentiments vrais sont, dans ce livre à l'élégante beauté, comme à chaque fois au rendez-vous.
Kalouaz sait nous parler à l'oreille et nous embarquer dans son ailleurs. Un instant de bonheur à saisir dans sa fugacité.

Dominique Baillon-Lalande 
(19/09/10)    



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Le bruit des autres

&
Galerie L'œil écoute
104 pages, 18 €




Kalouaz en lecture
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