Ahmed KALOUAZ

Ce que la vie fera de nous



Quatorze nouvelles de deux à vingt pages. Des corons du nord « Une façon de parler de ceux qui sont passés, ceux qui la nuit ont peint sur les murs des corons, les rêves des hommes. Vivre debout et dans la dignité, vivre longtemps, ne pas finir dans le camion, sous la sirène lugubre. C’est simplement façon d’envoyer un mot d’amour, à ce grand-père minier, vers le bleu du ciel, au paradis des nwortes glènes. Les poules noires de mes quinze ans » (Capitaine des pompiers) aux plages de Bretagne, en passant par les paysages du sud et le bitume de la ville ou la banlieue, des parcours de vie de gens ordinaires entre malchances et petits bonheurs. Des êtres malmenés par la vie, fragiles, dont le destin a basculé pour presque rien. Quête du bonheur, de l’amour et de la dignité qui s’écrase contre le mur, rêves et vies qui échappent à ceux qui pensaient en être les maîtres, monde qui continue sa course abandonnant les marcheurs fatigués au bord du chemin.

Au fil des pages, on rencontre un amoureux devenu mendiant sous le soleil des îles après l’abandon de sa belle (Rien à signaler), un coureur cycliste au foyer d’accueil de Nanterre à l’heure du Tour de France (Quelques minutes de retard), un fou du ballon rond, un enfant d’émigré « devenu Pierrot pour ne pas connaître la même humiliation que son père. (…) Son père comme tant d’autres, arrivé à Marseille un jour de 1937, sans connaître les mots de la nouvelle terre, pour ferrailler, bétonner, creuser la mine, là où personne ne voulait plus descendre. Plus tard il a traversé l’Italie avec une armée de fantassins que les canons labouraient. (…) Mais même une bonne guerre ne peut servir de viatique, l’oubli promène ses doigts sur la mémoire. Chair à canon, feuillets estampillés dans les archives des ministères, où on ne reconnaît ni l’ancien combattant, ni le travailleur de force. (…) Sèche la sentence est tombée. Cinq ans fermes pour escroquerie et usurpation d’identité » (Bonheur pâle des nuits). Et toute une galerie de personnages, venus d’ici ou d’ailleurs, comme des frères qui nous ressemblent, pareillement ballottés par les chaos de la route.

Des petites histoire sur fond d’humanité qui nous parlent de l’absence et du deuil, des espoirs déçus, de l’amour perdu, de l’âpre travail de la mine ou de l’usine, mais aussi de la beauté des femmes et de la mer, des rêves et des bonheurs simples des enfants, de la chaleur des bistrots et de la lumière du jour qui se lève. Des sujets d’aujourd’hui, inscrits dans notre réalité mais dits à hauteur d’homme, de l’intérieur. Ainsi le dialogue grinçant et drôle entre le fou et le policier de la nouvelle Simiesque ou la violente et improbable rencontre du poète et du garagiste dans Ce monde ancien trouvent écho dans les informations du soir et les faits divers.

Un livre comme un acte de mémoire et de déférence aux anciens, comme une tendre et nostalgique ballade aux temps de l’enfance et des amours. Du respect toujours, mais des révoltes aussi parfois. La nature, dépeinte avec sensibilité et expression, fait présence et non décor. L’auteur, poète à ses heures, s’abandonne au détour d’une phrase au plaisir de la musique des mots ou des images, émaille son texte de bribes de poèmes ou de chansons lui donnant des reflets changeants et des ruptures de rythme et de ton qui vivifient la narration.
Un livre sensible, intelligent à l’écriture superbe. Une petite centaine de pages pour un vrai bonheur de lecture. On en redemande.

Dominique Baillon-Lalande 
(01/12/06)    



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Ed. La Passe du Vent
100 pages, 10 €









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