Ernst JÜNGER

Journaux de guerre
Tome I : 1914-1918
Tome II : 1939-1948



La bibliothèque de La Pléiade vient de faire paraître les Journaux de guerre de Ernst Jünger, deux volumes traduits par Julien Hervier qui fut un proche de l’écrivain à partir des années soixante. Pour ceux qui ne connaissent pas Jünger, rappelons qu’il est né en Allemagne en 1895 et qu’il est mort à 102 ans, laissant derrière lui une œuvre foisonnante qui, à l’exemple de celle de Goethe, emprunte le chemin de la littérature pour interroger le cosmos, le devenir humain, la roue de l’Histoire, sans jamais se départir de ce regard d’observateur critique qui est aussi celui de l’entomologiste passionné qu’il sera toute sa vie, y compris aux heures les plus sombres, tranchées de la Somme ou charniers du front de l’Est.

Engagé volontaire en 1914, blessé à plusieurs reprises et se battant dans des troupes de choc, Jünger reçoit en 18 la plus haute distinction allemande, la croix « Pour le mérite ». Son livre, Orages d’acier, qui raconte son expérience de la guerre sera salué par Gide – mais aussi par certains hauts gradés de l’armée française – comme l’ouvrage le plus vrai qui ait été écrit sur la question. Nostalgique de la période wilhelmienne et d’une chevalerie de l’esprit qui n’est pas sans rappeler celle des romantiques allemands, Jünger ne se reconnaît pas dans la jeune république de Weimar et fréquente les cercles conservateurs, ceux des nationaux révolutionnaires en particulier ou nationaux bolcheviques, tout en continuant d’interroger la société dans laquelle il vit, en particulier la figure du Travailleur et la place de la technique dans le devenir de l’homme.

Peu suspect de complaisance à l’égard du nazisme, Jünger devient un « résistant de l’intérieur » dès l’avènement du Troisième Reich. Il en profite pour voyager, en Afrique et au Brésil notamment, rapportant de ses chasses subtiles (titre d’un de ses ouvrages) des observations poétiques et mystiques sur la nature. En 1939, il écrit Sur les falaises de marbre, roman emblématique condamnant sans appel la barbarie à l’œuvre en Europe. Pour autant, et c’est une des contradictions de l’homme qui en agacera plus d’un, il mène la Campagne de France dans la Wehrmacht et rejoint l’état-major parisien à l’Hôtel Meurice où il côtoie les plus hauts gradés de l’armée allemande, comme l’amiral Canaris ou le maréchal Rommel.

Ses journaux de cette époque offre un témoignage précieux sur la vie littéraire pendant l’Occupation : Jünger rencontre Cocteau, Gide, Picasso, Jouhandeau... Et aussi l’abject Merline, pseudonyme pour Céline, dont Jünger rapporte les propos délirants sur l’extermination des juifs. Propos qui le saisissent de dégoût, lui, l’officier allemand, et qui fait preuve d’une rare compassion quand, au détour d’une rue, il aperçoit une étoile jaune.

En 1942, Jünger participe à une tournée d’inspection sur le front de l’Est. Spectacle de désolation. Guerre totale. Nihilisme intégral. « La vieille chevalerie est morte, écrit-il. » Et avec elle, tout ce qui faisait le ciment humaniste de l’Europe. S’il ne voit pas les camps, il devine cependant de quoi ils sont faits. Jünger relit la Bible, prépare un essai intitulé La Paix (et qu’il cachera dans un coffre-fort jusqu’à la fin des hostilités), se sent en affinités avec les conjurés de l’attentat contre Hitler – mais ne devient pas pour autant un démocrate bon teint au sortir de la guerre…

Quoi qu’il en soit, saluons cette édition de ses journaux en Pléiade. A l’heure où l’Europe se cherche un sens, il est bon de savoir à quoi elle ressemblait avant qu’elle ne devienne un grand marché oublieux de son héritage humaniste.

Pascal Hérault 
(01/03/08)    



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Lectures









Editions Gallimard
Bibliothèque de la Pléiade
Coffret 2 volumes
100 €





Tome 1
1914-1918
944 pages, 45 €



Tome 2
1939-1948
1452 pages, 55 €




Edition de Julien Hervier
avec la collaboration
de Pascal Mercier
et François Poncet