James HAWES

Pour le meilleur et pour l'empire



Le roman de James Hawes ravira tous les amateurs d’humour britannique et de satire joyeusement féroce. Le héros, Brian Marley, Anglais moyen d’une quarantaine d’années, décide de participer à un jeu de téléréalité dans l’espoir de prendre sa revanche sur son échec affectif et social. Le voici donc, avec les autres candidats, livré à lui-même dans la jungle de Papouasie-Nouvelle-Guinée sans autre lien avec la civilisation qu’une caméra individuelle qui enregistre son comportement vingt-quatre heures sur vingt-quatre et la visite, une fois par semaine, d’un hélicoptère venu récupérer les participants incapables de résister plus longtemps aux agressions du climat, des crocodiles, des araignées géantes et d’une multitude d’insectes buveurs de sang, celui qui "tiendra" le plus longtemps devant être déclaré vainqueur et empocher deux millions de livres. Or, alors que Brian est sur le point de gagner, ledit hélicoptère s’écrase dans la forêt avec toute son équipe, le laissant définitivement coupé du monde civilisé. A demi mort de faim et d’épuisement, il est recueilli in extremis par un groupe de compatriotes qui, à la suite d’un crash aérien survenu en 1958, ont fondé une petite colonie où ils continuent à vivre dans le culte de l’Empire et des valeurs traditionnelles de l’Angleterre, persuadés d’avoir survécu à une troisième guerre mondiale.

Le romancier tire à boulets rouges sur la société anglaise contemporaine, et à travers elle sur les autres sociétés occidentales dont les membres mènent une vie absurde et esclave de l’argent roi. «  Je les ai vus, tu m’entends, je les ai vus, tous ces malheureux qui passent leur vie à tourner en rond dans leurs voitures tels des lemmings, en permanence au bord de l’épuisement et au comble de l’exaspération, de braves gars et de braves filles (…) qui se retrouvent endettés jusqu’aux yeux, à se faire du mouron pour leurs mômes, leurs écoles et leurs retraites, et qui rêvent de choper les technocrates de Westminster par les couilles pour leur demander ce qui se passe. », dit à l’un de ses collaborateurs le patron d’un grand journal conservateur. La satire n’épargne personne : les chaînes de télévision sont prêtes à tout pour augmenter l’audimat, si bien que les responsables d’Une jungle d’enfer se réjouissent cyniquement du crash de l’hélicoptère qui l’a sensiblement accru ; les téléspectateurs, pour leur part, apparaissent comme des brutes décérébrées qui prennent aux souffrances des candidats un plaisir de voyeurs ; le Premier ministre – en qui, sans qu’il soit nommé, on peut aisément reconnaître Tony Blair – ne songe qu’à gagner les élections suivantes sans grand souci de l’intérêt public, comme en témoigne ce petit dialogue avec ses conseillers proches :
«  - On n’a plus qu’à remporter les législatives. Après, on pourra faire tout ce qu’on veut pendant cinq ans de plus en emmerdant la terre entière.
- Nous allons gagner, c’est sûr ?
- Quelle question ! Naturellement. Ceux qui votent pour nous ne voteront jamais pour les autres, et il nous suffit de faire rebasculer en notre faveur vingt de leurs sièges naturels. A ce propos, j’ai déjà demandé au chancelier de baisser l’impôt sur le revenu.
- Ah, très bien, merci. Donc, euh, on reste sur début mai pour les élections ?
- Tout à fait. Et nous aurions sans doute intérêt à resserrer la vis en matière de criminalité, tu ne crois pas ?
- D’accord. Et que faisons-nous pour, euh, les causes de la criminalité ?
- Oh, inutile de s’embêter avec ça.
- Hé hé ! 
»

Quant à la petite colonie qui recueille Brian, elle est organisée selon des principes paramilitaires et élève ses enfants dans la haine des rouges et dans la certitude de la supériorité de la race blanche en général, et des Anglais en particulier. Quand les secours les découvrent enfin, le contact des colons avec le vingt-et-unième siècle engendrera des suites qui donnent à James Hawes l’occasion d’orienter son roman vers la plus réjouissante des politiques-fictions.

L’auteur fait d’ailleurs preuve, tout au long du livre, d’un sens de la cocasserie et de l’absurde qui apparaît par exemple dans ce dialogue entre Brian et le Directeur de la colonie à propos de l’attentat du 11 septembre :
« - Mon Dieu, pourquoi ont-ils fait ça ?
- Je ne sais pas. Personne ne sait vraiment. A cause du soutien constant de l’Amérique à Israël, je suppose.
- Ah, les Israéliens sont donc toujours dans la bagarre ?
- Et comment !
- Des coriaces, ceux-là. Alors, qu’ont fait les Yankees ? Ils ont bombardé l’Arabie Saoudite ?
- Non, l’Arabie Saoudite est de leur côté. Enfin, du nôtre.
- Mais vous venez de dire que les cinglés qui ont détourné les avions en venaient, d’Arabie Saoudite !
- Oui. Moi aussi, ça m’échappe ça. Désolé.
- Je vois. Donc les Américains n’ont rien fait.
- Oh, si. Ils ont envahi l’Irak.
- L’Irak ? Mais pourquoi, bon sang ?
- Je ne sais pas vraiment. 
»

James Hawes maîtrise en outre avec brio tous les rouages de la technique romanesque : il sait ménager des rebondissements inattendus, use du flash-back, et élabore une construction savante qui juxtapose scènes et dialogues et nous fait constamment passer de la Papouasie à l’Angleterre, du bureau du Premier ministre à un pub à la clientèle populaire et de la direction d’une grande chaîne télévisée au modeste appartement de la mère de Brian.

Pour le meilleur et pour l’empire se révèle donc un excellent roman dont la drôlerie "hénaurme" masque mal la plus impitoyable et la plus roborative des critiques politico sociales.

Sylvie Huguet 
(22/06/08)    



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Editions de l'Olivier
et
Points Seuil

416 pages - 7,50 €

Traduit de l'anglais
par Olivier Deparis