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Thomas GUNZIG

Assortiment pour une vie meilleure



Ce recueil rassemble vingt-sept nouvelles, diffusées de façon disparate jusqu'alors exclusivement en Belgique, données sur scène mais encore inédites, ou encore, parues en revues.
Un recueil gastronomique dont la plupart des nouvelles portent le titre d'une recette culinaire. Un repas à peine sorti du four ou du congélateur, qui brûle les lèvres sauvagement ou glace le palais, dont le menu serait la médiocrité humaine, les névrosés maniaques, les meurtriers contrariés, les adolescents pré-pubères surexcités, les couples mal assortis, les embuscades du destin, avec chaque plat bien présenté sur plateau d'humour noir et de férocité. Tout un buffet de drames, bourgeois ou populaires, humains ou animaliers. Bourreaux occasionnels ou victimes, gagnants et perdants sauvagement mêlés, participent pareillement au grand banquet de la fatalité.

On suit avec un amusement trouble la vengeance sanglante d'un furet maltraité par son jeune maître, la stupéfiante histoire d'une femme accouchant d'une gamba, la confrontation du rat domestique choyé par la petite Zoe avec la horde de rats d'égout décidés à franchir la chambre de la fillette pour se frayer un passage vers le rayon traiteur du magasin d'à côté. On rit quand le gentil et très bel animateur de vacances se retrouve, après une catastrophe naturelle, seul sur une île en proie au groupe de femmes mûres qu'il accompagne...

On partage les émois de Caroline, jeune adolescente abandonnée quelques jours dans sa grande propriété par son banquier de père avec son Steinway et cinq cents euros face à l'ex-haltérophile hongrois clandestinement recueilli contre menus travaux par ses voisins ou la frayeur grandissante de Lola quand, tout à l'horreur que lui inspire la nature, elle se croit perdue au cœur d'un conte et fuit en courant Jean-Michel dit Steevy devenu soudain loup meurtrier. Il faudra l'irruption dans sa chambre d'hôtel d'un étrange petit croate barbu « au regard d'opossum » venu en pleine nuit réparer le chauffage, lors d'un voyage d'affaire à Berlin, pour que la vie grise de Chantal, trentenaire dynamique en mal d'amour, bascule. Dans la boîte de nuit, l'arrière-petite-fille du feld-maréchal Goering a, quant à elle, tout pour réveiller les sens engourdis du jeune dépressif qui lui offre le champagne ; mais pourquoi est-elle si fatiguée soudain ? Lors de sa conférence scientifique, Isabelle qui a oublié ses notes aborde bien « l'effet des catastrophes naturelles sur les sociétés humaines » prévu au programme mais quand elle évoque « l'amour chez les petits primates » quelque chose se brise en elle et elle dérape déballant à l'assemblée ses angoisses, sa misère sexuelle personnelle, sa peur de vieillir seule.

C'est à un vieux couple d'homosexuels partis en ballade que le jeune homme, crane rasé et treillis militaire, qui vient de s'évader d'un camp d'entraînement à la survie devra son salut.
« – On s'entraîne pour être prêts quand la France tombera aux mains des... heu... étrangers. On défendra les vrais Français !
– Un petit fasciste ! Ça existe encore ça ! fit Guy, étonné.
– Ils ont repris la production, répondit Paul.
– Si c’est pas malheureux. Encore un peu de bordeaux, joli nazi ? fit Guy. 
» (Le chocolat)

Le rire s'étrangle quand François, une belle voiture, une épouse, deux enfants et un chien, part en vacances au Sud, mais oublie simplement qu'un véhicule stationné en plein soleil se transforme en four et découvre que toute chair n'est pas bonne à cuire. Ou quand, à l'heure où d'aucuns voudraient déterminer par des tests ADN la criminalité potentielle des bambins en maternelle, un adulte de 45 ans qui se sait depuis toujours prédestiné à tuer décide de réaliser son destin en cherchant scientifiquement comment passer aux actes.

Il devient carrément rictus quand trois copains étudiants, Pierre-Henri, Jean-Nicolas et Kader, partis skier quelques jours en Autriche, rencontrent en boîte une bombe, belle blonde timbrée appartenant à un groupuscule néo-nazi ; quand un couple de journalistes mis sur la piste d'un village perdu de Hongrie d'où seraient parties les épidémies de grippes aviaire et porcine découvre des pratiques culinaires qui les glacent d'effroi; ou quand de joyeux drilles partis entre hommes pique-niquer dans la forêt offrent en pâture à un ours des Pyrénées venu les déranger un touriste japonais.

On ne rit plus du tout quand c'est un réfugié qui raconte le massacre de sa famille en Afrique, la fuite, les camps de réfugiés, le voyage en container pour la Belgique, la faim, le vol de cent euros dans les poche d'un fêtard ivre et la bagarre qui tourne mal. Ou que l'auteur en plusieurs chapitres – qui alternent avec ceux du furet vengeur – nous raconte l'histoire d'Amine « huitième d'une famille de douze. Enfant élevé en batterie dans un soixante mètres carrés, palier compris. Frappé par son père frustré de n'avoir pu intégrer un camp d'entraînement islamiste en Afghanistan à cause d'un handicap urinaire lui ayant valu le ridicule surnom de La Fontaine. Ignoré par une mère épuisée, dont le psychisme trouvait comme ultime refuge la lecture compulsive du magazine Voici. Frappé par des frères déviants au point de voir leur avenir dans l'organisation de combats de chiens et humilié par ses sœurs à cause d'un fi-fi-fichu bé-bé-bé-gayement. », devenu une boule de haine. Ou que, pour éviter l'expulsion, un citoyen et sa petite famille acceptent de participer, pour pallier à l'engorgement des prisons, à l'accueil, l'hébergement et la nourriture d'une prisonnière de guerre, enchaînée. L'argent, la guerre, le sexe, la violence et... l'appétit de vivre et d'aimer.

Thomas Gunzig aime le jeu et l'outrance et ne fait pas dans la dentelle. Chaque histoire dénonce la lâcheté, le cynisme, le mépris, la violence, les haines quotidiennes et autres bassesses de notre petit monde. La galerie de portraits qui émerge de cette orgie d'alcool, de drogue et de sexe est d'un réalisme grinçant, incisif et absolu. Une infinité de crapules potentielles qui attendent la bonne occasion pour se manifester. Dans les nouvelles de Gunzig, la vie est violente, les hommes sont lâches ou méchants. Avec un mouvement de balancier permanent entre dérisoire du quotidien ordinaire et grotesque délirant, il illustre le pire qui est sans aucun doute pour aujourd'hui, gommant un meilleur fort improbable. Mieux vaut en rire avant de disparaître.

Des miettes de tendresse et d'espérance traînent parfois sur la nappe quand tous les convives sont partis. L'auteur n'épargne personne mais le jeu de massacre n'est pas gratuit. En caricaturant ainsi les injustices, les égoïsmes, les dérives de la société consumériste et régie par les lois du marché, la montée des extrêmes droites, les déséquilibres écologiques générés par l'intérêt et la bêtise, c'est nous tous qu'il alerte contre la machine à broyer et ceux qui la pilotent qu'il accable.
Mais ce réel tranchant et froid parfois bascule dans le fantastique et derrière les catastrophes pointent discrètement l’émotion, un peu de solidarité, parfois même du courage... Au seuil de l'enfer, ce qu’on devine derrière l'angoisse et le drame pourrait presque ressembler à un faible espoir investi, malgré tout, dans la nature humaine. Concis, net et précis, il dépeint avec cynisme et rage notre monde.

Le recueil est épais (490 pages) et assez hétéroclite. Thomas Gunzig y jongle avec un égal bonheur, de longues nouvelles composées de plusieurs chapitres à d’autres de quelques pages seulement, de saynètes dialoguées en monologues. Tout lui réussit et le lecteur peut y piocher à son aise. De son écriture précise et avec un rythme jamais en défaut, il maîtrise parfaitement le scénario efficace qui ne se soucie pas de vraisemblance, possède un talent d'observation incisif, structure son récit autour de quelques détails judicieusement placés pour guider ou piéger le lecteur, témoigne d'un talent certain pour la chute qui vient le surprendre dans le rire ou l'effroi.
Humour noir, rire jaune, témoignage grinçant d'une jeunesse qui peine à grandir sous le couvercle en fonte de l'obscurité, l'injustice et la violence, et affute ses couteaux, pure expression de la folie moderne, de la bêtise et du racisme ordinaire, pirouettes touchantes de celui que la peur étreint, c'est ici un excellent concentré du talent de Thomas Gunzig qui nous est offert.
Du Grand-Guignol entre critique sociétale et fantaisie littéraire. Brillant, méchant, salutaire. On se régale !

Dominique Baillon-Lalande 
(21/05/10)   



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Lectures










Au Diable Vauvert

490 pages - 22 €





Photo © Bénédicte Maindiaux
Thomas Gunzig,

né en 1970 à Bruxelles, nouvelliste traduit dans le monde entier, est lauréat en 2001 du prix Victor Rossel pour son premier roman, Mort d'un parfait bilingue, du Prix des Editeurs pour son recueil Le Plus Petit Zoo du monde et finaliste du Prix de flore en 2005 pour son deuxième roman, Kuru, tous parus au Diable vauvert. Plusieurs de ses livres sont repris en Folio.
Il est aussi l'auteur de nombreuses fictions pour Radio France et travaille régulièrement pour les scènes et la radio belges.















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