François DE GOURCEZ

Qoëlet


Le premier roman de François de Gourcez se démarque nettement de la production courante. Il conte les aventures de Qoëlet, fils d’un hobereau breton, dans le courant du dix-huitième siècle. Destiné par son père au métier des armes, par sa mère à la prêtrise, il ne veut suivre aucun de ces chemins tracés et s’évade de son collège de jésuites pour se faire marin et commerçant. Ayant réalisé nombre d’opérations fructueuses, il débarque à Constantinople où il connaît d’autres aventures avant de revenir en France pour y poursuivre sa quête du bonheur, puisque tel est le but qu’il s’est fixé. Il y rencontre un amour qui le comble totalement en la personne de Madame de Lauragais, mais la petite vérole la lui arrache très vite. Il repart alors pour les Indes, où un sage indigène l’initie au secret de la vaccination. Dès lors, il n’aura de cesse qu’il n’ait imposé cette pratique en France. Il y connaîtra une certaine notoriété avant d’être déshonoré par un procès inique et de revenir dans la Bretagne de son enfance, où, après avoir découvert le secret de sa naissance, il s’éteint dans la sérénité et l’anonymat le plus total.

A la fois roman historique, roman d’aventures et récit initiatique, l’œuvre frappe par une ambition assez rare chez un jeune écrivain, et sa réussite est quasi-totale. Il y a bien ici et là quelques aspérités stylistiques que l’on aimerait polir, mais le contexte historique, qui nous permet de rencontrer des personnages comme Vauvenargues et Madame de Pompadour, de suivre les avatars de la Compagnie des Indes, de découvrir avec une précision clinique les ravages de la variole et de nous passionner pour la lutte des Lumières contre l’obscurantisme, est dépeint avec un relief saisissant. Par ailleurs, l’intérêt du récit ne se dément jamais, et les personnages ont une épaisseur et une vérité qui les imprime fortement dans le souvenir du lecteur. Qoëlet lui-même est doué d’un courage, d’une ambition, d’une générosité qui lui donnent une force de caractère exceptionnelle ; c’est un homme qui revendique la liberté d’être totalement lui-même et d’aller jusqu’au bout de son destin. Mis à part l’amour qui illumine brièvement sa vie, c’est aussi un être étonnamment solitaire. Son histoire est celle d’une quête, qu’il appelle quête du bonheur, et qui est aussi une quête du sens ; ses étapes (recherche, indépendance, amour, unité, connaissance, dénuement, émerveillement) constituent les grandes parties d’un roman balayé par un souffle qui atteste l’envergure de l’écrivain. A la fin, cette vie tumultueuse, voire glorieuse, se perd dans un oubli paisible comme un ruisseau bu par les sables du désert : « Il souriait. L’oubli ne le hantait pas. Il lui semblait qu’il se déprenait lentement de lui-même. Qu’il était cent autres. Puis un seul. Puis un oiseau planant dans le ciel. Une montagne. Un poisson. L’eau de la rivière. Une particule de lumière : l’or du ciel. » Qoëlet ne laissera aucun souvenir ; l’Histoire l’a englouti et s’est refermée sur lui comme la surface de la mer. Cet anéantissement consenti n’est pas sans rappeler certaines pages de Marguerite Yourcenar.

Sylvie Huguet 
(21/04/07)    



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Editions Robert Laffont
235 pages, 20 €