Pierre GARNIER

Le Poète Yu
Der Dichter Yu



Comme l’écrit P. Courtaud en la quatrième de couverture : Ce livre n’est pas une petite somme, mais bien un sommet, la pointe d’un diamant sur laquelle Orient et Occident fusionnent, dans la pureté ou dureté des lignes qui composent, chaque fois, un poème d’origine. Pierre Garnier, l’initiateur du spatialisme en France, réalise ici l’ouvrage, l’objet parfait, celui qui, d’emblée, se détache, comme le nuage ou la première goutte de rosée, de la pesanteur des modes et des modèles, afin de mieux s’élever, de toucher à l’absolu, pour offrir au monde, chaque jour, malgré tout, un peu plus de beauté et d’immensité. C’est vrai, qu’une fois le livre refermé, on ressent le besoin impérieux d’y retourner, sachant que chaque jour, on peut regarder une page pendant un long moment et faire, à chaque fois, un magnifique voyage dans un pays immense où l’esprit est allié à la sensibilité pour voir la beauté. Les éditions allemandes Aisthesis ont eu la bonne idée de réunir les 3 tomes de Le Poète Yu : Le jardin japonais du poète Yu (tome 1 et 2) ainsi que La vie du Poète Yu ou Le rêve du papillon, dans une édition bilingue [Le tome 1 étant déjà paru en 2003 en France aux Éditions La Souterraine. L’ensemble des 3 tomes sont parus en espagnol chez Ediciones del Hebreo Errante (en 2003 – 2004 et 2005)].

Le jardin japonais du poète Yu est le résultat d’une recherche et d’une œuvre qui ont commencé voilà quarante ans, vers les années 1960, dans les débuts de la poésie spatiale, nous avons alors, Ilse et moi, beaucoup travaillé avec notre ami, le poète japonais Seiichi Niikuni ; en 1967 nous avons publié ensemble le premier recueil de poèmes visuels franco-japonais et en 1971 un disque franco-japonais de poésie sonore.

Dans ce recueil, il nous faut lire du texte et des images, s’intéresser au rapport qui se révèle entre les deux, car c’est dans cet entre-deux que tout un monde se fait jour. Pierre Garnier nous y invite à propos du poème-chiffre dans le troisième tome : Les chiffres sont si loin de l’image poétique qu’ils semblent exclus de la poésie – cependant les chiffres sont écrits comme des interstices, des scintillements et quand on les rapproche et qu’on les oriente, ils forment une image poétique c’est avec évidence le cas du zéro, du un et du deux, il en va de même de tous les chiffres : sous l’éclairage des mots, ils donnent des images.

Ainsi, prenons cet exemple de la page 324. La forme du sept nous fait penser à une chute. Le soleil sur la page suivante nous renvoie à la Chute d’Icare qui s’était trop approché du soleil. Un nouveau regard sur le 7 et nous comprenons que la forme prise par le chiffre donne l’impression d’un arrêt brutal d’un envol et d’une chute. La page 325 nous frappe par la transformation du mot soleil ainsi que d’abeille. Nous avons d’un seul coup, l’impression que l’abeil est comme une parcelle de soleil et que Soleille aime abeil ou que abeille aime soleil en lui prêtant « le » ou encore que ce que nous offre l’abeille, le miel, c’est du soleil liquide. Nous pouvons partir comme cela loin dans des visions revisitées de la nature.

Dans le premier tome, c’est toute une philosophie, celle du poète Yu, qui est présentée. L’écriture du texte, en page gauche, est mise en regard avec une image sur la page de droite. Il est le résultat de cette longue réflexion poétique Europe-Japon, occident-Orient, en poésie : la juxtaposition des mots et des figures, leur opposition, le déchiffrage des uns par les autres, il faut donc s’arrêter à chaque page, examiner le dessin et le mot ; ils jouent l’un pour l’autre. Ce livre raconte aussi la route du poète Yu à travers la poétique forêt ; il décrit le chemin qui mène au poème et au monde : Ô miracle, ô merveille, dit le poète Yu, dans le monde, le monde est invisible.

Donnons quelques exemples des pensées du poète Yu, telles que nous les écrit Pierre Garnier :

Le poète Yu prit dans sa main une petite pierre et dit :
« C’est la solidité du monde »
(page 98)

« Vois-tu de l’harmonie
                   la splendeur »
       conclut le poète Yu
(page 100)

En cette partie, les pages de droite sont réservées au dessin qui est en regard avec les dires. Dans une autre partie du livre, au début du troisième tome, nous ne nous trouvons qu’en présence de texte :

Yu dit : c’est une pince le livre et le poème – et elle pince tendrement les choses et les êtres – et Yu pense à l’enterrement de la grand-mère, au trou grand comme un cheval, à la terre déversée et qui semblait planer jusqu’au cercueil ; il se souvient que la terre était de peu de poids et de beaucoup de tendresse.
La Terre ne semble pas avoir de pesanteur, elle attire, elle soutient, elle soulève – c’est le poème.

Et Yu ajoute : comme le cercle, la Terre est à la fois mobile et immobile – le poème est à la fois mobile et immobile – et Yu dessine un cercle, et il dit : c’est un o, c’est aussi un zéro – comme toute vie ou tout poème.


Je pourrais, comme cela, prendre bien d’autres exemples dans ce magnifique recueil, mais, le mieux reste que vous vous en saisissiez, pour découvrir toute l’immensité qui s'y trouve. C’est grand, c’est beau, c’est d’une richesse pour l’esprit et on peut y revenir sans se lasser, et découvrir de nouvelles choses. Ce n’est pas souvent que tant de puissance poétique vous atteigne à la lecture.

Gilbert Desmée 
(12/09/08)    



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Aisthesis Verlag
520 pages - 24,80 €



www.aisthesis.de