Jérôme GARCIN, Cavalier seul



Jérôme Garcin qui avoue, dans son avant-propos, sa méfiance envers le « chuchotis de sacristie » des diaristes, nous livre ici un « journal équestre » qui ne retient que les notations liées à son goût de l'équitation, une « fièvre » qui « jour après jour le dévore ». L'ouvrage ne se livre donc pas d'emblée au tout-venant des lecteurs et peut tout d'abord déconcerter le profane, qu'il confronte à un vocabulaire ésotérique. Il en va ainsi lorsque l'auteur détaille l'art du sellier, habile à façonner arçon, troussequin, sanglons, quartiers et étrivières ou lorsqu'il parle rêne intérieure, rêne extérieure, épaule en dedans, appuyers au galop ou changements de pied aux deux mains. Pourtant, ce livre n'est pas réservé aux seuls initiés, et très vite l'intérêt, puis l'émotion s'installent.

C'est que cette chronique est d'abord celle d'un amour passion, celui que Jérôme Garcin voue à son cheval Eaubac, et que cet amour passion est condamné. Eaubac, en effet, souffre d'une arthrose précoce qui le rendra bientôt inapte à être monté, si bien que son cavalier doit se résoudre, la mort dans l'âme, à le mettre au pré, c'est-à-dire à la retraite, dès le printemps 2005. Le journal équestre devient alors un compte à rebours qui scande les étapes de la séparation prochaine et colore chaque promenade d'une déchirante nostalgie. Ce que Jérôme Garcin réussit à merveille, dans ce livre pudique, d'une écriture très retenue, qui se défie des facilités du lyrisme, c'est à restituer la complicité étroite, l'intimité physique et affective qui le lie à son cheval : « Sur les sentiers où les branches sont très basses, je colle ma tête à son encolure trempée et mes mains sur ses flancs chauds, je ferme les yeux et le laisse nous conduire. Je l'enlace dans ma nuit provisoire, bercé par son allure prudente et sinueuse. Je m'abandonne à lui. II le sait. »

A travers cette complicité, c'est un rapport privilégié avec la nature qui s'offre au cavalier épris de longues sorties. Cette chronique est aussi celle de la campagne normande au fil des saisons, avec ses couleurs et ses parfums, feuillages d'automne, odeur du foin, éclat solaire des champs de colza, ou paysage sous la neige dans le « grand, le religieux silence d'hiver ». « Promenade longue et magnifique avec Eaubac dans une campagne blanche et sous une pluie cantonale. Les arbres se découpent dans la brume comme des ombres chinoises. Les cloches des villages se répondent. J'aime les moments où, au milieu des champs, sans que je le lui demande, Eaubac prend soudain le galop, un galop enfantin, un galop de cheval en liberté, un galop festif. » Un jour, cheval et cavalier rencontrent quatre jeunes chevreuils qui les accompagnent un temps. Ces moments de magie jalonnent le livre, auquel ses dernières pages donnent sa résonance la plus émouvante et la plus mélancolique. Le journal équestre s'achève en effet sur l'adieu à Eaubac, et c'est tout un passé qui s'éloigne avec lui, « les confidences, les poèmes, les illusions perdues, les vertes espérances, dont nos chevaux en allés sont les gardiens respectueux et attendris ».

Sylvie Huguet 



Retour
Sommaire
Lectures







Editions Gallimard, 2005
280 pages
18 €







Jérôme Garcin est aussi l'auteur d'un très beau portrait de Bartabas, le fondateur du Théâtre équestre Zingaro :


Bartabas roman

Editions Gallimard, 2004
236 pages
16,90 €