Jasper FFORDE

L'affaire Jane Eyre


Le roman de Jasper Fforde a de quoi séduire les amoureux de la science-fiction comme les amateurs d’intrigues policières. Nous sommes en 1985, dans un monde parallèle où la révolution de 1917 n’a jamais eu lieu et où l’Angleterre et la Russie se disputent toujours la Crimée. La pays de Galles a fait sécession pour devenir une république populaire, et les espèces disparues ont été réintroduites grâce au clonage, si bien que les dodos sont devenus des animaux de compagnie répandus. Un corps de ChronoGardes veille à maintenir l’ordre dans l’espace-temps, où ils se déplacent à leur guise. Par ailleurs, la littérature représente une telle valeur qu’elle a fait naître une criminalité organisée, qui va du trafic de manuscrits aux délits de plagiat, tandis que l’identité discutée de Shakespeare représente une question d’intérêt national. Une police spéciale dont fait partie Thursday, l’héroïne du livre, se consacre tout spécialement aux affaires qui s’y rattachent. Enfin, dans cet univers, la pellicule qui sépare la réalité de la fiction s’avère particulièrement perméable, surtout lorsque Mycroft, l’oncle de Thursday, invente une machine qui permet de pénétrer à l’intérieur d’un poème ou d’extraire d’un roman, en le ramenant dans notre monde, un de ses personnages essentiels.

C’est autour de cette machine révolutionnaire que s’organise l’intrigue du livre. L’un des plus grands criminels connus, un génie maléfique nommé Achéron Hadès, parvient à s’en emparer puis à voler le manuscrit de Jane Eyre dont il enlève l’héroïne, détruisant ainsi la quasi totalité de l’œuvre. Tandis que menace une crise grave, provoquée par les admirateurs de Charlotte Brontë, Thursday va s’efforcer de retrouver Jane en affrontant son ravisseur, entreprise particulièrement périlleuse puisque celui-ci dispose de pouvoirs supra-normaux : capable d’adopter n’importe quelle apparence, il n’impressionne pas la pellicule photographique et se révèle insensible aux balles tirées par une arme à feu ordinaire. Dans le même temps, Thursday doit aussi se garder de la société Goliath, qui convoite l’invention de Mycroft pour l’utiliser à des fins militaires, tout en se débattant dans ses propres problèmes sentimentaux.

Génie du mal, voyage temporel, superpouvoirs, on reconnaît ici les ingrédients d’une culture populaire que Jasper Fforde renouvelle avec bonheur en les mêlant aux grands classiques de la littérature anglaise pour en tirer une œuvre originale, bourrée de références et de clins d’œil. Les situations sont d’une inventivité aussi jubilatoires que les découvertes de Mycroft, tels ces « vers correcteurs », sorte d’asticots dont l’ADN contient l’équivalent de plusieurs dictionnaires, ou cet « olfactographe », qui permet d’identifier l’odeur qu’un criminel a laissée sur les lieux de ses méfaits.

Enfin, les dialogues sont pleins de saveur et d’humour, comme en témoigne cet échange entre Hadès et l’un de ses hommes de main :
« Mr. Delamare, mon ami, avez-vous commis votre mauvaise action aujourd’hui ?
- Oui, Mr. Hadès. J’ai roulé à cent vingt à l’heure.
- Ça ne m’a pas l’air bien méchant.
Delamare ricana.
- Dans une rue piétonne ?
Hadès leva le pouce et sourit avec malice.
- Très bien.
- Merci Mr. Hadès.
»

Voici donc un livre d’une folie ébouriffante, qui ravira aussi bien les admirateurs de Wordsworth, dont les Daffodils sont cités en annexe, que ceux de Spider Man.

Sylvie Huguet 
(10/08/07)    



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Editions 10/18
410 pages - 9,30 €

Traduit de l'anglais par
Roxane Azimi



Jasper Fforde vit au Pays de Galles. Avec Délivrez-moi ! (Fleuve Noir, 2005) et Le Puits des Histoires Perdues (Fleuve Noir, 2006), les aventures de Thursday Next comptent maintenant trois volumes. Les deux premiers sont disponibles en 10/18.






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