Stéphane Émond

Pastorales de guerre


De très courtes nouvelles qui content les guerres, la « Grande », la seconde et celle d'Algérie. Les lieux des combats, les instantanés de vie des soldats saisis au vif au cœur du désastre mais aussi les victimes collatérales, déserteurs, mères, épouses, sœurs, enfants, confrontées à la misère, à la peur, à l’absence, à la mort, autrement. Les bouleversements que la guerre génère, les séquelles de cette barbarie dans le champs des sentiments et de la famille.

Ces petits récits rapportent ceux qui meurent, les disparus et ceux qui reviennent presque coupables ou traumatisés à jamais par l'horreur à laquelle ils ont été confrontés. « Depuis qu'il est rentré, démobilisé comme son certificat militaire l'indique, il ne quitte plus le lit. En revenir ne vous fait pas chanceux, ni heureux. (...) Le remords, le malheur et la culpabilité confondus vous font comme une entrave à vivre. »

Plus encore, dans cette campagne désertée, l'auteur nous fait entrer dans l'univers de ces femmes qui travaillent dur à la ferme pour survivre et nourrir la famille et attendent. « Dans le ciel, il n'y a rien à changer quand c'est grand bleu et tout au beau. Ce qu'il faudrait c'est changer l'ordonnancement des petites choses dans le désordre du monde. Il y a bien la guerre mais elle est loin encore et laisse peu voir ses tressaillements. Beaucoup d'hommes sont partis, certains sont prisonniers de l'autre coté de la frontière, d'autres se sont enfuis. Cela fait un an et demi qu'il est parti, des mois qu'on attend de ses nouvelles. »

Les nouvelles qu'on guette et celles dont on voudrait ensuite qu'elles ne nous soient jamais parvenues. « Elle pensait à lui comme à son petit, toujours petit même devenu grand et homme, et malgré ce qu'il pouvait lui faire endurer maintenant. Elle songeait qu'elle ne lui avait pas fourbi les bonnes armes pour ce combat glorieux, ni donné le bon amour, celui qui vous porte la vie durant et vous fait croire en tout. (...) Quand la nouvelle est arrivée, elle le croyait parti d'hier tant le temps s'était arrêté dans son esprit. C'est l'institutrice qui était venue car le maire était à ce moment-là mobilisé comme officier de réserve. (...) Quand elle sortit la lettre de sa poche et lui tendit, c'est comme un grand souffle de froid qui la parcourut et lui traversa le corps. L'institutrice la prit dans ses bras et sentit ce grand froid et tout son tourment par dessus. (...) Le soleil rouge n'est plus qu'or, autour et dedans. Elle referme la fenêtre et le voit, ce soleil, comme un œil au regard sanglant. »

Parfois les retrouvailles ne seront pas ce bonheur tant attendu. Des épouses, lassées d'attendre, devenues des étrangères, certaines enceintes d'un autre, des enfants effrayés par ces sombres inconnus qui se disent leurs pères...
Pas de sang, de faits d'armes ou de description à lever le coeur. Des sentiments dits, simplement. Le quotidien de petites gens, personnages sans nom, suggérés au fusain, noirs, dans des lieux volontairement non identifiables ou presque. Une fresque de guerres mêlées qui n'en font plus qu'une seule par les douleurs qu'elles infligent. Un nuancier des blessures du corps et du cœur infligées à tous par la barbarie des guerres avec en filigrane, la vie malgré tout.

Le style précis, ramassé, l'écriture sobre mais discrètement poétique nimbent tous ces récits d'un respect pudique et d'une force évocatrice réelle comme un album de photos en noir et blanc qui garde trace de petits bouts d' histoires cousus les uns aux autres pour faire trames à notre passé collectif.

« Une vingtaine de récits économes et douloureux, exemplaires, dressés comme des stèles. Un chant poignant qui montent de ces pages, une plainte étrange et sourde qui nous parvient, comme magnifiée par la voix d'un homme jeune qui se souvient du sacrifice des siens .»

Stéphane Émond, libraire, dont c'est le premier livre, nous offre ici un recueil cohérent et émouvant que je vous recommanderai de découvrir avec lenteur et de façon discontinue pour mieux l'apprécier.

Dominique Baillon-Lalande 
(26/03/07)    



Retour
Sommaire
Lectures









Le temps qu'il fait
96 pages, 14 €


www.letempsquilfait.com





Né en 1964 dans l'Argonne, Stéphane Émond a créé, à La Rochelle, la librairie
Les Saisons.
Pastorales de guerre
est son premier livre.