Jean ECHENOZ

Ravel


On connaissait Le Boléro de Ravel. Maintenant, il faudra compter avec le Ravel de Jean Echenoz, non tant parce que cette brève biographie apporte des éléments nouveaux sur les dix dernières années de la vie du musicien, mais parce que ce livre relève d’une gageure pleinement réussie : Echenoz, sans rien sacrifier au style qui lui est propre, parvient à habiter son personnage avec une retenue et une méticulosité teintée d’ironie, à l’image justement de l’artiste qu’il dépeint, homme discret et tiré à quatre épingles, cherchant dans la musique un dérivatif salutaire à un ennui de vivre chronique.

En cent vingt pages et neuf chapitres, Echenoz passe à la loupe de l’entomologiste cette petite silhouette de la musique française, dont on sait peu de choses finalement, sinon qu’il habitait une petite maison à Montfort-L’Amaury – fruit d’un modeste héritage –, qu’il possédait pas moins de vingt-cinq pyjamas, qu’il fumait comme un sapeur et qu’on ne lui connaît aucune liaison féminine. Ravel, dans sa vie comme dans son œuvre, est le musicien anti-romantique par excellence. Du reste, s’il n’avait pas composé, peut-être serait-il devenu ingénieur comme son père.

Mais alors, dira-t-on, qu’est-ce qui le rend si intéressant ? Sa tournée en Amérique ? Sa rencontre avec Paul Wittengstein, pour lequel il composera les deux concertos pour la main gauche ? Le succès fulgurant du Boléro ? Echenoz n’est pas un biographe professionnel ni un musicologue : c’est un écrivain. C'est-à-dire quelqu’un qui, à l’aide de son style qui lui est propre, cherche à cerner une personnalité qui lui ressemble peut-être, et qui s’interroge en même temps sur l’acte de créer.

Quand Ravel ne voyage pas, il s’ennuie. Alors, il lui faut un projet. Il n’en faut pas davantage pour que naisse Le Boléro. Et puis, il y a ces maudites insomnies contre lesquelles il ne peut rien, sinon essayer quelques méthodes – toutes vaines – et qui le laissent un peu plus fatigué chaque jour. Mais il importe peu de savoir pourquoi Ravel ne dort pas. Par contre, il est extrêmement savoureux de lire Echenoz, quand il évoque ces nuits sans sommeil. Parce que ces nuits peuvent être les nôtres. Parce que nous aussi nous nous ennuyons parfois, cernés que nous sommes par un monde d’objets dont le mutisme nous renvoie à l’absurdité de notre condition.

C’est peut-être cela qu’a voulu nous dire Jean Echenoz à travers l’évocation de Maurice Ravel. Mais sans jamais peser, avec un sourire triste et amusé. Et quand nous arrivons à la fin de son livre, nous devinons qu’il n’y a plus rien à dire ni à ajouter. Le silence s’installe. La musique peut commencer.

Pascal Hérault 
(15/07/06)    



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Editions de Minuit
124 pages
12 €












Maurice Ravel
(1875-1937)