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Photos : Cyrille DEROUINEAU
Nouvelles de Marcus MALTE, Jean-Hugues OPPEL, Jean-Bernard POUY, Michel QUINT, Marc VILLARD, Didier DAENINCKX

Ostende au bout de l'est


A l'origine du projet un reportage photographique de Cyrille Derouineau sur la ville d'Ostende.
A l'occasion de projets antérieurs, Sur le quai avec Jean-Bernard Pouy en 2002 puis Corps de ballet avec Michel Quint en 2006, il a pris goût à croiser son regard à ceux des écrivains. Il choisit donc avec l'éditeur 30 photos couleurs pour les envoyer à 6 auteurs complices ou dont il se sent proche. Des "polardeux", tous, car le noir sied bien à l'atmosphère de cette ville du bout de l'Est et à ses plages. A chacun, ensuite, en toute liberté d'écrire une nouvelle en résonance.
Certains s'accrochent à une – ou plusieurs – photo qui leur sert de guide tel Marcus Malte qui avoue ne pas connaître vraiment cette ville ; pour d'autres, les clichés ne seront que des déclencheurs d'imaginaire ; certains semblent coller à celle du photographe leur propre vision de la ville.

L'ensemble sera donc tendance "noir" (morts plus ou moins naturelles, secrets familiaux honteux et trafics en tout genre) dessinant les contours d'une station balnéaire désertée en cette fin de saison touristique, perdue dans le brouillard et hantée par des être fantomatiques.

« Quand je débarque ici, la fin du monde est proche. (...) A trois heures de l'après-midi le crépuscule est tombé. Le ciel et la mer logés à la même enseigne : celle de l'enfer. Tout est vert. Vert d'émeraude sombre, profond, qui irradie d'une mince faille entre les nuages, là-bas, à l'horizon. Une bombe à neutrons a dû exploser au large – ou bien le soleil lui même – et les radiations se propagent inexorablement jusqu'au rivage. Les habitants ont fui. Chiens compris. » pense Renan parti sur les traces de son vieux père disparu depuis deux mois à la demande de la tante, celle qui l'a élevée depuis ses deux ans à la mort de sa mère. Un voyage initiatique pour reconstituer une histoire familiale peu ordinaire : « Trois valets, un roi noir et une reine de la nuit ». (Pourquoi Ostende, Marcus Malte)

Même mélodie chez Michel Quint : « L'Ouest finit à Ostende. Après, plus loin que la mer, commence autre chose qui n'existe pas vraiment pour qui parvient jusqu'ici. Cette ville, la terre s'y échoue, à bout de force, et quelle que soit notre raison d'y être, on accompagne son agonie sur le sable des plages. Aux alentours de la Toussaint, on pense à la chanson de Caussimon et on se demande si ça vaut le coup de vivre sa vie, on mettrait des chrysanthèmes à chaque coin de rue pour n'oublier personne de ceux qui sont venus là déchirer leurs rêves en petits morceaux et les jeter aux vagues, que les mouettes les piquent du bec et s'en aillent les noyer aux large. » Même quête du passé pour le personnage de La secrétaire du brouillard. Mais là, comme pour gommer les secrets encombrants qui se révèlent, le hasard de la pluie et des chemins fera à ce soixantenaire l'ultime cadeau d'une belle rencontre féminine.

A Ostende, alors, seuls des vieux, restés là, semblent attendre leur fin prochaine.

Mystérieux, parfois comme la sulfureuse comédienne des années 60 venue échouer là incognito « Au loin, sur la ligne incertaine où se mariaient le ciel et l'eau, un cargo hérissé de cheminées, de radars, alourdi par les conteneurs multicolores empilés sur le pont, prenait la direction de l'Angleterre. Des images furtives de son dernier voyage à Londres, quarante ans plus tôt, dansèrent devant ses yeux, se mêlant aux volutes de fumée. » (La queen des Kinks, Didier Daeninckx) ou en groupe pour une escapade d'un jour en autocar, à se chamailler comme des enfants, à se souvenir, à s'en régaler les yeux et l'estomac tant que... « Laetitia les rassemble, une vraie mère poule. Sauf que ses poussins sont de vieux volatiles légèrement déplumés. (...) Ils savent que leur temps est compté mais, en attendant, ils tentent de ralentir la vitesse des aiguilles. Ils se sentent bien et ne veulent pas ressembler à la pendule de Jacques Brel, celle qui dit oui qui dit non. Eux, enfin, ils veulent toujours dire oui. Rattraper le temps perdu ». ( Le club, Jean-Bernard Pouy).

Entre les photos et les mots courent aussi, de façon transversale, des bribes de musique, rock dur des Kinks ou chansons amères de Jacques Brel, Charles Trenet et bien évidemment Jean-Roger Caussimon.

C'est non plus les kilomètres de sable soulevés par le vent mais le port, ses paquebots et le trafic de drogue que choisit Marc Villard (Coursiers) pour décor. Mais les flics sont malins, les dealers retors à souhait et les mules parfois inattendues. Parmi elles, des occasionnelles comme ce couple de retraités dont les frais médicaux dépassent la maigre pension, ou Marlène, chômeuse de longue durée, elle-même mère de junkie.

Dans Fin de saison en enfer, Jean-Hugues Oppel profite d'une trame classique de filature et de contrat pour évoquer des pêches d'une étrange nature : « La marée a ramené une dizaine de valises sur la plage. Il y en avait de toutes les tailles. La plupart étaient des modèles de bazar en carton bouilli (...) Certaines étaient ouvertes et vides. D'autres ne tenaient fermées qu’entourées de grosse ficelle. (...) Les gendarmes se sont déployés sur le sable sans entrain. Les agents des douanes ont fait une courte apparition (...) Les candidats à la croisière sans billet affluaient de partout ces dernières semaines, disait le réceptionniste de l'hôtel. Au restaurant, le peu de personnel encore en poste supputait le nombre de corps que la marée suivante emporterait. Les cadavres sont plus lourds que leurs valises et voyagent donc moins vite. On pariait déjà sur les nationalités. (...) Au bar, la patronne calculait les probabilités d'augmentation du chiffre d'affaire quand le premier noyé toucherait la grève vers la fin de l'après-midi. » « Des rafales glaciales balayent la ville, le port et les plages. Il en faut plus pour dissuader les femmes de marins de sortir pour ramasser des coquillages à marée basse. Les femmes qui n'ont pas épousé un marin assument aussi la corvée afin d'améliorer l'ordinaire car il n'y a pas de petites économies. Elles se sont toutes habituées aux morts couchés sur le sable comme aux cris des mouettes, qu'elles n'entendent même plus. » Terrible.

Au fil des pages s'installe un réel équilibre entre les textes et les images. Aucun n’est l’illustration de l’autre mais il se crée un point de rencontre, un écho entre les deux formes d’écriture qui s'affirment pareillement, se dynamisent l'une l'autre, s'enrichissent mutuellement.
Les textes, divers mais parents par le blues qu'ils exhalent, constituent chacun une des pièces d'un étrange puzzle balnéaire qui nous entraîne dans une visite bien peu touristique mais fort révélatrice de la part d'obscurité des hommes et de la société contemporaine. La brume qui noie cet endroit du bout de la terre et en rend les contours si souvent incertains est à l'image de celle qui opacifie notre histoire personnelle et collective. Un recueil collectif où chaque texte vaut par lui-même et où l'ensemble prend sens.
Un ouvrage pleinement littéraire de grande qualité.

Dominique Baillon-Lalande 
(02/07/09)    



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Editions Le Bec en l'Air


132 pages - 19,50 €





Le Bec en l’Air est une maison d’édition installée à Manosque, depuis 2001. Ses publications mêlent le texte et l’image avec un principe de base : les faire dialoguer à travers une mise en page exigeante et un graphisme contemporain. La forme fusionne ainsi avec le fond, le choix des auteurs se conjugant à celui des illustrations, des caractères typographiques, d’un papier ou d’un format.