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Jean-Baptiste DEL AMO

Le sel



Le sel s'ouvre sur un extrait du journal de Virginia Woolf : « Ce pourraient être des îlots de lumière, des îles dans le courant que j'essaie de représenter ; la vie elle-même qui s'écoule  ».
Le livre entier apparaît comme un lent déchiffrement de cette citation mise en exergue. Louise, la mère, Fanny, Albin et Jonas, ses trois enfants sont en quête de ces îlots, noyés dans un passé opaque qui les empêche de vivre au présent.

Le roman se construit comme une pièce de théâtre classique. Le drame se déroule à Sète, commence au lever de Louise et s'achèvera avec le dîner qu'elle aura passé la journée à préparer, ce qui n'est pas sans rappeler Mrs Dalloway, autre livre de Virginia Woolf.
La perspective du dîner ouvre « un glissement insidieux du quotidien, l'infiltration du passé  », une fêlure dans le présent : « ainsi, pensaient-ils, au jour du dîner, comme à travers un tunnel, une faille dans le temps qui les eût poussés à se ressouvenir  ».

Cet avenir proche fait surgir des fragments enfouis qu'ils voudraient oublier, un creux douloureux en chacun d'eux provoqué par l'ombre du père mort qu'ils désirent sonder pour se trouver eux-mêmes. Les membres du clan se déchirent, se blessent pour trouver la force de vivre : « car, sous la diligence de sa mère, son obstination à les réunir pour le dîner, Fanny devinait la femme qu'elle désirait mettre à nu, dépouiller de son enveloppe de temps, de sa chair harassée, de l'impunité de son âge  ».

La violence des désirs, des pulsions réfrénées émergent dans les nombreux souvenirs et fantasmes sexuels qui émaillent crûment le livre comme autant de scènes primitives qu'il faut élucider pour en sortir apaisé. L'écriture, exigeante et précise, explore les liens familiaux tissés de non-dits.

La mère et la fille, murées dans leurs souvenirs qu'elles n'arrivent pas à partager et qui pourraient les rapprocher, s'attachent aux gestes du quotidien : peler de l'ail, farcir des moules.

Les phrases, amples et musicales, creusent les sensations pour laisser affleurer le passage du temps et la permanence des choses : «  si les volets n'étaient pas rabattus et que le jour la trouvait allongée sur le flanc, le visage vers la fenêtre, l'une des premières images qu'elle percevait, sitôt qu'elle ouvrait les yeux, était le haut vol des oiseaux dans un carré de ciel sur le mur. Une traînée de nuages y hésitait parfois. Si les matins étaient gris, Louise y voyait comme un reflet de la mer, une écume qui pouvait être blanche ou même noire.  »

Il s'agit d'une très belle réflexion sur la filiation, le souvenir, la quête de sens et l'on ne peut s'empêcher de ressentir comme Albin, l'un des fils, que l'histoire de cette famille de pêcheurs « commune et si particulière, pouvait être, en définitive, l'histoire de tous  ».

Enora Bayec 
(24/08/10)   



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Editions Gallimard

304 pages - 19,50 €






Jean-Baptiste Del Amo,

né à Toulouse en 1981, est actuellement pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Son premier roman, Une éducation libertine (Gallimard 2008, Folio 2010), a été récompensé par plusieurs prix dont le Goncourt du Premier Roman et le prix Mauriac de l'Académie française.