Delphine COULIN

Une seconde de plus


Qu’est-ce qu’une seconde ? Qu’est-ce que le temps ? Que signifie le temps qui passe ? Vieillit-on vraiment ou est-on toujours une seule et même personne comprenant un enfant, un adolescent, un adulte, un vieillard « - Vous croyez que les enfants que vous avez été ont disparu ? Mais quelle arrogance d'adultes ! Eh bien non, vous n'êtes pas le stade le plus évolué de l'humain, figurez-vous ! Vous n'êtes qu'une étape, et les autres étapes ne disparaissent pas, elles restent vivre dans leur monde, et vous les oubliez au fur et à mesure. Elles sont comme les cernes du bois des arbres, elles se cachent au fil du temps mais ne disparaissent pas. » ?
Six nouvelles où nous retrouvons six femmes qui sont peut-être une seule femme aux différents âges de sa vie. Delphine Coulin nous plonge dans un temps universel où les absents sont toujours aussi présents que les vivants : « […] et la chemise est comme un drapeau qui clame l’existence de son propriétaire, et le vent continue de souffler depuis la mer et il s'engouffre dans les ruelles étroites, et on dirait qu'il n'a de prise que sur les vêtements mis à sécher au soleil, et les vêtements s'envolent les uns derrière les autres et placardent le ciel de taches colorées, revendicatrices. Une armée de disparus s'est levée. »
Tout ceux qui ont été arrêtés et dont on n’a plus de nouvelles dans un pays d’Amérique Latine affirment leur existence. Le compagnon mort d’une danseuse sera toujours présent sous ses yeux dans un tableau réalisé avec ses cendres. L’amour entre eux continuera malgré la douleur de la séparation définitive. Une nouvelle très ironique sur une vieille femme qui est à l’origine de la création du Front révolutionnaire de libération des seniors montre l’absurdité du rejet des personnes âgées et comment celles-ci pourraient se révolter comme le font les jeunes qui manifestent pour défendre leur avenir… Les personnages slaloment avec le temps, entre rêve et réalité, entre jeunesse et vieillesse. En fait, le temps ne nous manipulerait-il pas ? « Le temps nous séparait. Il faisait de nous des individus. Des solitudes. »
Une seconde de plus est un recueil qui se lit sans compter son temps, dans le plaisir d’une écriture sobre et rythmée. Malgré la présence de la mort, l’espoir de ne jamais perdre tout à fait les êtres chers perdure au fil des pages.

Brigitte Aubonnet 
(22/05/07)    

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Prix Renaissance de la Nouvelle 2007

Delphine Coulin a reçu le 16ème Prix Renaissance de la Nouvelle, prix international décerné à Ottignies-Louvain-la-Neuve en Belgique. 28 recueils de nouvelles de 21 maisons d’édition ont participé cette année. Delphine Coulin a publié un roman chez Grasset en 2004, Les Traces, et en 2005, elle a publié une nouvelle dans un recueil collectif aux Editions Gallimard. Elle est aussi cinéaste et auteure de plusieurs courts métrages qui ont été primés.
Quelques questions lui ont été posées par le jury, franco-belge, composé d’écrivains Michel Lambert, fondateur du prix, Claude Pujade-Renaud, Marie-Hélène Lafon, Georges-Olivier Châteaureynaud, Ghislain Cotton, Alain Absire et Jean-Claude Bologne :

- Y a-t-il des points communs entre la nouvelle et le court métrage ?
- C’est court dans les deux cas mais cela ne se ressemble pas trop.
Je retrouve des thèmes communs comme le temps, l’âge, le corps… mais dans la réalisation c’est très différent. Au cinéma, il faut rendre des comptes à beaucoup de monde. Pour des questions de budget, tout n’est pas possible. Alors, qu’à l’écrit, je suis seule maître à bord.

- Toutes vos héroïnes ont un rapport au temps ?
- Le passage du temps joue un rôle très différent pour les hommes et les femmes. Pour ces dernières, c’est beaucoup plus difficile. On pardonne beaucoup moins le passage du temps aux femmes et par exemple pour avoir des enfants, il faut y penser avant un certain âge.

- Vos nouvelles ont pour thème la disparition d’un village englouti sous un barrage, la perte de l’homme aimé, les disparus en Amérique Latine avec toujours la possibilité d’une réapparition. Il y a une alternance de disparitions et de réapparitions. Est-ce que vous l’aviez prévu en commençant le recueil ?
- Le temps efface, c’est sûr, mais il y a toujours la possibilité d’une bulle intacte quelque part qui résiste au temps. Je parlais de femmes et du rapport au temps. Dans mon premier roman, le temps était présent aussi.

- D’ailleurs son titre Les Traces évoque qu’il n’y a pas disparition totale. Pour parler de soi, il est plus facile de parler des autres. Pourriez-vous nous citer deux auteurs, un dont vous vous sentez proche et un que vous admirez ?
- Borges me touche particulièrement. Avec Borges, nous sommes dans la création pure, dans l’imagination. Je trouve aussi qu’avec Yoko Ogawa, écrivaine japonaise publiée chez Acte Sud, existe un croisement entre nos textes. J’aime beaucoup la littérature japonaise.

- D’où vous est venue l’idée de la nouvelle sur le tableau de l’homme aimé réalisé avec ses propres cendres ?
- J’ai lu un article de journal sur un projet de loi qui va décider de ce que l’on aura le droit de faire avec les cendres de quelqu’un.

- Je rapproche cette nouvelle sur le tableau de celle sur le barrage qui va engloutir un village. Dans votre recueil, il y a opposition entre l’obsession du temps qui passe et le fait de tout garder, de tout conserver ?
- On lutte toujours contre le temps et on essaye de sortir vainqueur de ce combat. Il y a deux manières de gagner : le souvenir et l’imaginaire. Il faut toujours garder intact des moments de la vie.

- C’est optimiste, il semblerait que l’on puisse gagner contre le temps. Il y a, précédant plusieurs de vos nouvelles, une définition du mot seconde. Comment avez-vous incrusté ces petits textes dans votre travail ?
- J’ai cherché dans le dictionnaire ce que je pouvais trouver sur la relativité du temps. La définition du temps que j’ai trouvée en premier était assez compliquée alors j’ai cherché dans un autre dictionnaire. C’était tout aussi compliqué et pas plus facile à comprendre. Cela faisait appel à l’infiniment petit. Chaque dictionnaire a une définition différente du temps. Ces définitions m’étonnaient et cela me faisait plaisir d’être étonnée par des scientifiques.

- Puisque vous avez une double casquette d’écrivaine et de cinéaste, quels réalisateurs vous ont marquée ?
- David Lynch car c’est le premier a avoir mis le réel et l’imaginaire sur le même plan. Je considère que nous avons tous une vie réelle et imaginaire. Les deux se valent. Il n’y en a pas une meilleure que l’autre.

- Le temps est-il lié au mystère de l’identité ?
- A travers six portraits de femmes d’âges différents, c’est peut-être mon portrait chinois que j’ai écrit, une définition de mon identité. La première nouvelle est très proche de moi, les autres sont plus éloignées de moi mais il y a toujours un lien avec mon histoire comme la dernière sur les disparus en Amérique Latine.



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Editions Grasset
176 pages
12,90 €

Prix Renaissance
de la Nouvelle 2007