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Carin CLEVIDENCE

La maison de Salt Hay Road



Dans ce récit, c'est peut être la maison qui est le personnage principal. Elle a commencé sa vie en traversant une rivière : "Scudder s'était efforcé de décrire la sensation bizarre qui l'avait envahi en voyant la maison flotter vers eux, l'eau qui éclaboussait les murs blancs et l'encadrement de la porte, tandis qu'un rideau jaune se balançait derrière une des fenêtres. Ça fichait un peu la frousse, avait-il raconté à son petit fils ; pas la maison elle-même, mais sa progression laborieuse quoique déterminée à travers les vagues." Elle a résisté aux tempêtes et elle apparaît comme le dernier refuge d'une famille morcelée.

Sous son toit, elle abrite Scudder, vieil homme bourru et ancien sauveteur en mer ; Roy, son fils, maigre et taiseux, plus habile à chasser le gibier qu'à communiquer avec son entourage ; Mavis, sa fille, revenue habiter dans la maison de son enfance après un mariage désastreux. Les nuits d'insomnie et d'angoisse, elle se replie dans sa cuisine jusqu'au lever du jour : "Mavis avait toujours eu un sommeil difficile. Chaque fois qu'elle se réveillait la nuit, elle se réjouissait de se retrouver dans son lit étroit, dans la maison où elle avait grandi. Elle laissait les rideaux ouverts afin de pouvoir regarder par la fenêtre et s'assurer qu'elle était bien là. Le clair de lune la réveillait souvent. Après être restée étendue pendant une heure, elle enfilait une robe de chambre en flanelle sur sa chemise de nuit et, ses cheveux fins se détachant de sa natte, elle descendait, pieds nus, en faisant le moins de bruit possible. Certaines nuits, elle parvenait à se rendormir après avoir préparé un pain de maïs." Enfin, vivent là, Nancy et Clayton, les enfants de la fille aînée de Scudder, réfugiés comme des oiseaux blessés après la mort de leur mère. Ils forment un duo indestructible et Nancy veille jalousement sur ce lien qui les unit jusqu'au jour où elle tombe amoureuse...

Le prince charmant prend l'apparence d'un ornithologue rencontré fortuitement et, après un bref échange épistolaire, elle se prépare à quitter sa famille. Dans ses rêves de jeune fille, le mariage signifie l'émancipation et l'indépendance mais elle découvrira bien vite que la réalité de la vie en ville est différente de celle qu'elle avait imaginée. Son départ va mettre en péril le fragile édifice qui régnait dans la maisonnée. Clayton, son frère, refuse de la suivre ; Scudder qui a survécu à toutes les tempêtes va se laisser dépérir ; les angoisses de Mavis vont se décupler et Roy laissera renaître la blessure d'un passé qu'il avait cru oublier.

Carin Clevidence livre ici une belle fresque familiale. Son œuvre, très documentée, retrace les désastres provoqués par la tornade de 1938. Les descriptions riches et précises des événements naturels, véritables états d'âme des protagonistes, donnent une force supplémentaire à l'histoire.

L'image des oiseaux, exotiques, affaiblis, emprisonnés... parcourt le récit comme une métaphore du destin des personnages, à l'exemple de cette très belle scène où l'héritière de l'homme chez qui Clayton travaillait, vient libérer les oiseaux et transforme, par cet acte spontané, les projets que ce dernier avait édifié : "Il y avait plus d'une centaine de cages dans la salle, que la fille ouvrit une par une, chassant les oiseaux vers la liberté. Clayton se tenait, impuissant, dans un coin. Des larmes de frustration lui montaient aux yeux. Il savait que les oiseaux appartenaient à cette étrangère. Même s'il avait parlé sa langue, il n'aurait pas eu le droit de l'arrêter."

On croit entendre le vent, sentir le sable et la rudesse de la vie dans cette maison où les silences sont plus éloquents que les paroles échangées.

C'est une très belle découverte de cette rentrée littéraire et ce premier roman dévoile les talents d'une grande romancière. On attend avec impatience la suite de son œuvre...

Enora Bayec 
(17/09/12)    



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Lectures








Quai Voltaire

(Septembre 2012)
320 pages - 22 €

Traduit de l'anglais
(États-Unis)
par Cécile Arnaud









Carin Clevidence,
née en 1967, a grandi sur l'île de Long Island, "entourée d'eau et d'oiseaux". La maison de Salt Hay Road est son premier roman.