Pierre CHARRAS

Bonne nuit, doux prince


« Ce treizième livre est l'accomplissement d'un désir que j'avais dès le premier, qui était de rendre hommage à mon père et de lui dire : "tu étais bien ; je ne te l'ai jamais dit, mais tu étais bien. Et tu étais, comme je le dis dans le titre, un prince, alors que tu étais un pauvre prolo, bien sûr, fauché et ignorant". Mais quand même, il avait une sorte de noblesse du coeur que j'ai essayée de peindre, avec mes souvenirs qui sont de plus en plus rares, de plus en plus solides et douloureux. »
Pierre Charras (propos recueillis par téléphone)



Bonne nuit, doux prince est un récit simple et sensible sur l’enfance, la famille et la disparition prématurée du père. Le narrateur trace avec des mots justes le portrait de cet homme de peu, né en 1911 dans un village de haute montagne et qui, sachant à peine lire et écrire, est parti à 17 ans tenter sa chance au bourg. Il reconstruit avec une certaine nostalgie les souvenirs familiaux autour de ce père, enfant amputé de sa soeur jumelle à douze ans et hanté toute sa vie par cette disparition, jeune homme fringuant lors de sa rencontre avec sa belle dans une guinguette au bord de l’eau, adulte ébloui par l’amour solide et gai de cette femme à ses cotés et père mal à l’aise avec les mots comme avec l’expression des sentiments.

Le fils narrateur se fait "archéologue émotionnel de l'histoire paternelle, comme si les mots pouvaient pallier l'absence" et, plus que le portrait d'un père maladroit, humble et résigné, c’est l’évocation d’une relation père/fils pudique jusqu’à l’excès, l’expression d’un regret de s’être parfois manqué, de ne pas avoir su se dire l’essentiel, celle des craintes d’avoir déçu par ses choix celui qui espérait pour lui une revanche sociale et des petits-enfants, qui se dessinent au fil des mots.

« Comme un cul-de-jatte qui a mal aux jambes, j'ai mal à mon père. C'est ça au fond notre histoire. Des gestes qui n'ont pas eu lieu. Des mots que j'ai négligé de dire. Des élans d'amour aujourd'hui périmés qui m'étouffent. Je n'en finis pas d'établir le catalogue des occasions manquées. »

Un livre composé d’actes manqués, de non-dits, d’affection et de la joie d’une réconciliation tardive et fragile. Mais aussi un récit d’enfance émaillé de petits bonheur puisées dans ses souvenirs : cinéma dominical en famille, journées insouciantes de pêche en rivière entre père et fils, préparatifs secrets pour la fête de Noël, refrains chantés par la mère dans la cuisine et atmosphère de confiance dans le progrès et les jours meilleurs qui berçait d’espoir les petites gens de cette époque. Il nous évoque aussi ces gestes d’amour qui se substituaient aux paroles chez cet être de silence, sa veille anxieuse quand il a cru son fils mis en danger par la maladie ou la bière bue ensemble en terrasse du café dans l’émotion de l’obtention du baccalauréat.

Peu de personnages secondaires ou d’anecdotes périphériques mais l’histoire d’Alexis, le seizième mort du tribut payé par le village à la grande guerre, est un morceau de bravoure qui mérite d’être signalé.

Cet hommage d'un fils à son père disparu est bouleversant par la sensibilité extraordinaire qui l’anime. Le ton est juste, l’émotion palpable, sans pathos ni complaisance, et l’auteur parvient très finement à trouver écho chez le lecteur et à transformer son histoire individuelle, autobiographique, en lettre ouverte d’enfant devenu adulte à tout parent disparu. Sentiments universels partagés, tendresse, incompréhensions, regrets, difficulté à exprimer l’amour au sein du clan familial, culpabilité, manque de l’absent, qui feraient de chaque histoire malgré sa singularité une simple variation de la comédie humaine sans cesse recommencée.

Un roman beau et fort, filé avec une pudeur magnifique et porté par une écriture de l’intime, discrète, retenue et parfaitement maîtrisée pour dire la vie qui passe et la complexité des rapports humains. Une bouleversante déclaration d’amour qui sait nous émouvoir profondément.

Dominique Baillon-Lalande 
(15/12/06)    



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Mercure de France
114 pages, 13 €


Ce roman a fait partie de la première sélection des prix Renaudot et Femina.

L’auteur a reçu le Grand Prix Poncetton 2006 de la SGDL pour l'ensemble de son œuvre.




Pierre Charras,
né en 1945,
est aussi comédien
et traducteur.
Plusieurs de ses livres
sont repris en Folio.