Olivier CHARNEUX

Nous vivons des vies héroïques


« Et vous, comment vous débrouillez-vous avec la vie ? Telle est la question que j'ai posée à quarante personnes vivant en France (...) Savoir où nous en étions aujourd'hui, eux et moi, m'importait. J'avais le sentiment d'être perdu, de ne plus voir la réalité. Ces gens-là m'ont aidé à comprendre mon propre parcours. (...) Oui, nous avons tous une vie héroïque dont la littérature pourrait s'occuper. »

Quarante témoignages venus de Neuvy-le-Roi, Évreux, Charleville-Mézières, Paris, quarante bribes de vies racontées par des hommes et des femmes rencontrés au gré du hasard ou des envies. Des gens ordinaires, de tous âges, de toutes cultures, de tous milieux sociaux qui se confient à cet écrivain qu'ils ne connaissent pas, juste comme cela, sans rien attendre en échange. Il a sans doute fallu à l'auteur une attention extrême, une curiosité généreuse pour entrouvrir ces portes et à partir de ces confidences récoltées comme un trésor peindre sa fresque.

Vous, moi, les autres, dans un drôle d'album photos, pêle-mêle désordonné où les clichés, avec ou sans liens apparents, se côtoient pour esquisser un puzzle de la France d'aujourd'hui.
On y retrouve entremêlées religions et idéologie : Judith séfarade lyonnaise de quarante ans, aujourd'hui détachée du judaïsme alors que ses trois frères vivent en Israël qui livre qu' « après dieu il y avait mon père. Il était à la fois l’œil et le doigt de dieu. » Djamel qui explique qu'il a rompu avec l'intégrisme après la révélation d'un verset du Coran qu'il a interprété comme « une injonction à travailler, à construire »... Liliane, la passionnée qui avoue devoir au militantisme syndical d'avoir rempli sa vie.

On y croise le monde du travail. L'employé des pompes funèbres qui aime bien son métier mais se plaint du salaire minable qu'il perçoit. L'éducatrice qui s'occupe de primo-arrivants et qui explique « c'est difficile d'acquérir l'autonomie... c'est difficile de les voir partir ». André, fils de mineur, mineur lui-même, qui résume ainsi sa vie : « vous êtes né dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Vous mourrez dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Vous avez soixante-douze ans ». Augusto sur son chantier, fier de raconter que « seules la neige et une température de quinze degrés en-dessous de zéro les empêchent de travailler, lui et ses collègues. Son patron est italien, ses collègues turcs, algériens, français, portugais comme lui. Ils ont l'habitude de travailler ensemble. Ils apprennent tous les uns des autres ».

Présents aussi dans ces récits de vie, le licenciement, le chômage, l'ANPE.

Souvent pointe, au détour d'une page, le malaise de l'adolescence en crise : « j'avais seize ans quand ça a commencé, poursuivit-il. Depuis je cherche mon chemin, ma ville, l'endroit où ma vie pourra commencer » (Nadir). «  Je m'appelle Guillaume. J'ai dix-sept ans aujourd'hui. C'est drôle. C'est aussi le premier soir du couvre-feu dans certaines banlieues. Ce pays n'aime pas les jeunes. Ce pays a peur de sa jeunesse. » En vis à vis, se révèle la difficulté de vieillir: «  c'est dur la solitude... faut pas demander à vivre trop vieux » (Mme K.), « Je n'aime pas ce qui se passe en France aujourd'hui, les personnes qui nous représentent sont des guignols qui ne pensent qu'à eux. Les places doivent être bonnes puisque tout le monde les veut... Je préfère oublier tout ça en marchant où mieux en dansant » (Yvonne, 73 ans).

Se disent aussi la précarité avec cet ancien diplomate iranien passé brutalement d’un train de vie luxueux à un appartement HLM de vingt mètres carrés en banlieue, la maladie, Alzheimer ou sida, l'exil « la terre tremble sous les pieds quand on découvre une nouvelle vie avec les yeux de l'exilé que l'on sait être devenu pour toujours » (Christophe, Congo), le drame de la mort. Beaucoup de souffrance dans tout cela.

Certains se perdent momentanément, d'autres se battent face à l'adversité comme Pierre-Jean, handicapé de naissance, qui a décidé de conquérir son autonomie et de vivre pleinement car « le pire ennemi est soi même ». On peut aussi comme Xavier, son auxiliaire de vie, qui a flambé sa jeunesse de par le monde, de drogues en alcools, du paradis à l'enfer jusqu'au bout de lui-même remonter la pente et changer le cours de sa vie.

Non toutes ces confidences ne sont pas noires. Mennad nous livre pudiquement une lumineuse histoire d'amour et Martin narre sa passion pour la mer et son métier de pêcheur. Guillaume, au cœur de son mal vivre, reconnaît que « heureusement il y a l'amour... l'amour c'est pour tout le monde. Il n'y a pas de différence, que ce soit entre deux garçons, deux filles, entre un garçon et une fille : pareil. » Josephine la généreuse et énergique mama antillaise à la retraite illumine son récit par sa force vitale. La fille aux cheveux rouges a trouvé sa place en assumant un rôle de médiatrice de quartier. Le couple de gardiens parisien s'accroche à leur projet de retourner dans leur campagne pour leur retraite. Chacun selon sa chance ou son courage mais pour tous un espoir.

Ce qu'illustrent ces témoignages, au-delà des doutes et des blessures profondes, c'est l'énergie humaine, « la force de la vie qui passe ». Vivre c'est aussi se nourrir des pages sombres de son histoire pour évoluer et grandir, dominer ses peurs et continuer à avancer, s'agripper à ses rêves, s'accrocher pour ne pas couler, rester ouvert aux autres car la personnalité se façonne aussi au gré de rencontres, résister.

Ces vies faites d'actions, de questions, de luttes (héroïques ?) contre l'adversité au quotidien, méritent d'être connues et racontées. Olivier Charneux l'a fait, choisissant d’aller à la rencontre des autres, d'apprendre à les connaître pour, à travers eux, rejoindre la grande confrérie humaine et se retrouver lui-même.

De ce patchwork mi-témoignage mi-littéraire, dialogues transcendés par l'écriture mais respectueux des paroles offertes, surgit la vie, riche et forte, l'alchimie étrange et fascinante de l’existence mise à nu.

Un livre fait pour y piocher à son gré, à son rythme, en suivant son instinct pour y rencontrer à notre tour ces autres si semblables et si différents que nous côtoyons sans les voir et se réconcilier avec la vie en marche. Un rappel généreux et salutaire de notre condition humaine si dérisoire parfois mais aussi de la richesse de chacun pris dans sa singularité.

Dominique Baillon-Lalande 
(06/06/07)    



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Editions Stock
172 pages - 15,50 €


www.editions-stock.fr







Olivier Charneux a déjà publié deux romans chez Stock, La grande vie et Les dernières volontés, et deux récits autobiographiques au Seuil, L'Enfant de la pluie et Être un homme. Il écrit également pour le théâtre.