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Michèle CAVALLERI


Une île, un archipel



De livre en livre, Michèle Cavalleri poursuit une œuvre très cohérente, autour de personnages en quête d’identité, qui se rencontrent, souvent dans un café, qui se racontent ou s’écoutent pour construire ou reconstruire leur monde intérieur.
Après Frank-Amédée, alias Job et Henri, le narrateur d’Une si forte absence, nous suivons ici deux jeunes hommes, Elie et Mario, qui se croisent dans cette petite ville où ils viennent de s’installer et où chacun va chercher à régler à sa manière ses comptes avec son passé.

Mario est un violent. Il aime la bagarre. Il fréquente certains bars, comme le Foulon, uniquement pour l’émotion de la confrontation physique aux autres. Il en sort glorieux ou roué de coups, peu importe, il a ressenti ce qu’il venait chercher.
Il est persuadé d’avoir tué un homme pendant une manifestation, comme Meurseult dans l’Etranger, sans le vouloir, sans le prévoir.
« A ce moment-là, il s'est tourné vers moi. A ce moment-là, ils ont chargé. J'ai crié : mais va t'en, bon Dieu ! Barre-toi ! Tire-toi ! Tu n'as rien à faire là. Je l'ai poussé. Epaule contre épaule, quelle masse ! ce type. J'ai frappé, bras tendu, la pierre au bout. Celle que j'avais ramassée en arrivant. La pierre au poing, la pierre... Pourtant je crois, oui, je crois vraiment, j'en suis sûr, elle est tombée tout de suite, elle n'a pas pu l'atteindre. J'ai entendu : « Tu es cinglé. Cinglé ! » Oui, je l'entends : tu es cinglé ! Puis, comme on courait tous, j'ai dû courir aussi. Quand je me suis retourné, je l'ai aperçu à terre, sa place vide, d'abord. En tout cas il m'a semblé, puis lui, étendu de tout son long. On lui passait sur le corps sans faire attention. J'ai bien essayé de retourner en arrière. Impossible. La pagaille. »
Il ne sait pas, ne sait plus ce qui s’est passé, il aimerait comprendre. Alors il va dans les bars pour éprouver, mesurer, connaître sa propre violence.
Ensuite une question le ronge : cette violence, d’où vient-elle ? De son père ? Il ne l’a pas connu, n’en a jamais entendu parler.

Dans un autre bar de la ville, plus paisible, le Petit Ritz, Mario rencontre Elie qui dit venir d’une île lointaine, où tout est beau et si différent, une île dont sa mère, Angélique, est régente. Elie raconte, tous écoutent, en redemandent…
Elie répond, donne des détails, embarque tout le monde dans un merveilleux voyage mais, une fois rentré dans sa chambre, « il note ses réponses sur un carnet qu’il range derrrière ses livres au cas où on l’interrogerait une seconde fois, peut-être une troisième. Ne pas commettre d’erreur. »
Parce qu’Elie invente, au fur et à mesure. Il voudrait revenir sur cette première phrase lancée sans bien savoir pourquoi, je viens d’une île. Il voudrait effacer, dire je vous ai bien eus, elle n’existe pas, c’était pour rire… Mais maintenant, ils ont besoin de son île, ils veulent savoir, ils veulent rêver. Alors il continue à inventer…

En chapitres alternés, on les suit dans leur quête du passé. Chacun va retourner sur les lieux de son enfance, revoir la maison, la mère, la vraie, humer l’atmosphère, poser des questions, chercher à comprendre…
Pourquoi sont-ils partis, pourquoi ont-ils toujours envie de partir, ailleurs, encore plus loin ?

Autour de Mario et Elie, on trouve d’autres personnages tout aussi attachants, plus ou moins blessés par la vie.
Les parents d’Elie, dans leur appartement parisien, où il faut prendre les patins, où il n’y avait pas de place pour un enfant.
Justine, la mère de Mario, potière dans un petit village, qui vit seule dans sa maison et dans son passé, dont l’existence n’est troublée que par Anselme, le cordier, qui ne sait plus comment il l’aime, ni comment le lui dire…
Serge Bolinski, qu’on appelle le colonel, qui se reproche d’avoir incité son fils à aimer la guerre (Le plus beau des métiers, fiston) même s’il a ensuite, mais trop tard, cherché à l’en dissuader (N’importe lequel sauf celui des armes !). Peut-être pour compenser la mort de son fils en Algérie, Serge s’occupe de Noël, une sorte de Quasimodo qu’il arrache à la mendicité, installe dans un logement, à qui il offre un jardin et un chien.
Fanny, la jeune fille enthousiasmée par l’île d’Elie, qui voudrait tant l’y accompagner…

De son écriture, à la fois ferme, douce et poétique, Michèle Cavalleri nous entraîne une fois encore dans cet univers qui lui est propre, fait de conversations et de voyages, de rencontres, de tendresse et de retenue, de mensonges et de quêtes, où les personnages se cherchent, s’interrogent et se découvrent, des personnages que nous acompagnons de page en page, au fil d’une narration qui nous prend et nous emporte. Comme l’auditoire d’Elie captivé par le récit de l’île, nous avons besoin de partager, de rêver, d’enrichir notre présent avec des ailleurs, nous avons besoin de littérature, nous avons besoin de Michèle Cavalleri.

Serge Cabrol 
(02/01/09)    



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Le bruit des autres

168 pages - 15 €








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