Arnaud CATHRINE, Sweet home


Les bords de Manche, l’été, recèlent parfois des drames.
Une demeure normande abrite à la belle saison Susan, la mère, que l’envie de vivre a quittée, le père, si maladroit à force d’être blessé par cette femme qui ne le supporte plus et Remo, son frère à lui, si complice avec elle, toujours entre vapeurs d’alcool et passion du jeu et cependant si terriblement présent.
Avec eux, trois enfants, Lily, Vincent, son jumeau, et Martin, le petit frère à la paternité douteuse. Ce sont eux qui, à dix ans d’écart, vont prendre la parole et conduire le récit. Chacun leur tour, ils font entendre leur voix, tentant de démêler leur vérité dans le concert de mensonges, de secrets et de non-dits qui derrière les apparences de tranquillité bourgeoise hantent la grande maison familiale dominant la mer. Leur histoire aura pour témoin, Nathan, l’ami d’enfance, l’adolescent silencieux qui a cherché refuge auprès de cette famille adoptive pour fuir la folie de son père.

Lily ouvre la marche avec le récit de l’été 1983. La tragédie est déjà en marche, l’adolescente le pressent, impuissante. La beauté du décor, l’amour et la complicité qui la lie à sa mère n’y changeront rien. Par instinct de survie, elle se lancera avec application dans la conquête de son indépendance. Ce sera donc l’année des découvertes amoureuses dans les bras de Nathan et celle de l’émancipation de la sphère gémellaire. Son journal s’interrompt au seuil de la disparition de la mère. Ce sera ensuite aux détours des confidences de ses frères que sa vie d’adulte nous sera révélée.

Sept ans après, c’est Vincent qui prendra le relais en nous racontant la mort de la mère, la décomposition de la famille et le poids de la souffrance. Comment survivre au suicide d’une mère ? Grandir, après ? Vincent a choisi de fuir loin de la vie, loin du monde. Il y aura bien les années d’études et l’appartement partagé avec Lily, sa complice de toujours, les étés en famille dans la maison normande, l’attachement à Martin élevé par « ses deux pères » mais Vincent a cultivé l’art d’être ailleurs. Même l’amour de Jeanne et l’enfant qu’elle lui donnera, ne peuvent abattre la barricade de mots derrière laquelle il se protége. Devenu écrivain, il écrit des livres que personne dans sa famille ne lit, de peur d’y voir transparaître leur vie en filigrane et leurs secrets dévoilés. Dans cette famille où personne ne parle, il écrit pour exister.

Puis il y a Martin si jeune quand sa mère a disparu qu’il s’en souvient à peine. Il a vingt-deux ans maintenant et passe ses soirées dans un bar buvant plus que de raison pour oublier la vie qui lui pèse, cette famille qui joue faux, emmurée dans son silence, ceux qui l’étouffent de trop l’aimer mais de l’aimer mal.

Ces trois-là sont inextricablement liés, par le drame, par l’amour, très présent dans le roman, mais comment parvenir à être bien ensemble quand chacun mobilise toute son énergie à ne pas sombrer, à donner le change pour ne pas alourdir le bagage des autres ?

L'exercice est d'une grande beauté formelle pour servir une vraie violence intérieure. Un style efficace, acéré parfois, mais vibrant d’émotions. De la tendresse et une douce mélancolie, aussi. Cet écrivain a fait sien le territoire de l’enfance et de l’adolescence qu’il explore à travers les douleurs et les blessures familiales : l’abandon, la perte, la mort, la maladie, la solitude, les silences, l’impossibilité d’aimer et de s’ouvrir à l’autre. Mais s’il se livre ici à une dissection féroce d’un foyer en plein pourrissement, les personnages qu’il met à nu, déglingués mais sensibles et attachants, sont animés d’une telle envie de vivre et de se construire autrement pour se sortir de leur passé, qu’ils se sauvent du désespoir. Le lecteur devine, entre les lignes, une vérité intime pudiquement travestie sous les transpositions romanesques de ce « tombeau lumineux pour une mère défunte ». Un roman fort et superbe.

Dominique Baillon-Lalande 



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Editions Gallimard
Collection Phase Deux
216 pages
16,50 €