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Alma BRAMI


Sans elle



Léa, dix ans, peu de temps après la mort de son père voit Solène sa sœur cadette, petite fille lumineuse qui adorait faire des vœux magiques et avec laquelle elle partageait tout, disparaître dans un accident. Son univers d'enfant s'effondre et c'est dans la douleur, la sienne, celle de sa mère, et la solitude qu'elle voit sa vie basculer. Pourquoi la mort a-t-elle fauché cet ange à sa place ? Qui est-on quand on n’est plus la sœur de personne, que l'on a perdu la plus belle part de soi-même ? Comment ne pas grandir pour ne pas s'éloigner de Solène ? Comment être la « survivante » ?

Avec la disparition de sa sœur, Léa a perdu ses repères mais aussi sa place dans le cœur d'une mère brisée par le chagrin et qui n'a plus d'amour que pour l'absente. « Quand Solène est morte, Maman a arrêté de me coiffer le matin, elle n’avait plus le temps et plus l’envie. Solène est morte, et moi, j’ai grandi d’un coup. » Devant ce fantôme anéanti par le drame qui sombre dans une profonde dépression et rompt tout rapport avec la réalité, Léa doit maintenant grandir toute seule, avec son chagrin et cette peur de ne jamais pouvoir combler le vide qui les accable.

« Maman elle a commencé à être bleue sous les yeux à la mort de Papa. [...] A la mort de Solène, elle avait deux yeux au beurre noir. [...] Et ses yeux se creusaient jusqu'à presque disparaître dans le noir de ses paupières. [...] Le chagrin c'est pire qu'être moche, c'est la pire des maladies, ça se colle au visage. » « Maman était si loin dans soin courant d'air, que j'avais beau la chercher, je ne la trouvais plus. [...] elle était attachée en elle, séquestrée. » Léa qui est encore une toute petite fille est brutalement seule face au monde, face à une adulte prostrée incapable de sortir de son lit. Pour survivre, il lui faut assumer avec lucidité la déchéance de la mère mais aussi avec efficacité la charge du quotidien, le réfrigérateur vide, la saleté qui s'accumule. « Et puis Maman qui dort, et puis le pain, et puis les cafards, et puis plus d'eau chaude et puis de pire en pire jusqu'à où ? Jusqu'à quand ? » Tout cela en sauvant les apparences de normalité vis à vis de l'extérieur pour ne pas risquer d'être séparées. Elle se débrouille comme elle peut, ramène du pain dérobé à la cantine pour les nourrir, condamne la cuisine envahie par les insectes, essaye de faire bonne figure à l'école et tente désespérément de faire sortir sa mère de son cauchemar. Quand les échecs se font trop lourds, qu'elle ne supporte plus de « vivre en boucle dans une minuscule impasse, en croyant que le monde c'est ça », l'enfant se retourne instinctivement vers sa mémoire, pour se donner du courage et adoucir son propre chagrin. Elle se recrée Solène en elle, vit, respire, chante pour elle, se remémore leurs jeux, leurs rituels, la tendre gaieté qui les unissaient. Et le présent de Léa, vide, glacé, s'illumine du souvenirs de ces moments chaleureux et de cette complicité partagée. Cela lui permet lentement de mettre des mots sur ses sentiments, d'apprivoiser l'absence pour avancer sur le chemin de l'acceptation du deuil sans honte et sans violence.

A force d’obstination et d'amour, Léa parvient à sortir sa mère de sa léthargie, à retrouver son regard et sa tendresse, à affirmer sa propre identité et à redonner à elles deux, aux côtés de la douleur, place à la vie. « Ne plus avoir peur de l'avant, de l'après. Ne plus craindre le manque. Le digérer à deux. Et puis grandir » sont les mots qui ferment le récit.

Léa pense, dit, la douleur avec ses mots d'enfants et le contraste en est d'autant plus saisissant. En prenant la voix d’une enfant, Alma Brami peut évoquer les questions les plus graves avec les mots les plus simples avec une singulière alliance de fragilité, de lucidité et de force. « Comment on fait pour grandir si sa sœur ne suit pas ? [...] Solène est partie et j'ai perdu mon prénom. A la maison, plus personne pour me nommer Léa. Avant maman le chantait, Solène jouait avec. J'existais. [...] J'avais peur que Maman croie que j'imitais Solène, alors je suis devenue transparente. »

Lorsque les livres évoquent le décès d'un enfant, ils évoquent généralement la tristesse insondable des parents, le deuil impossible d'une mère quand bien même il lui faut continuer à vivre pour ceux qui restent. En choisissant de raconter l'histoire à hauteur de vue d'une enfant de dix ans, Alma Brami peut évoquer différemment l'indicible souffrance de la disparition et l'impuissance face au deuil en la replaçant dans le contexte plus large de la famille et de ceux qui restent. Ce prisme enfantin permet aussi à l'auteur d'aborder naïvement sans les éluder les questions que les adultes au cœur de la tourmente n'oseraient exprimer et auxquelles ils n'ont pas de réponse. La fillette peut évoquer la tempête de sentiments qui s'agitent en elle comme la culpabilité, la haine, la jalousie, l'incompréhension, le lien entre la mort de l'autre et sa propre mort, en toute innocence et à découvert.

À vingt-trois ans, Alma Brami offre ici aux lecteurs un premier roman qui repose sur un remarquable équilibre entre fragilité et énergie, passé et présent, désespoir et combativité. Laissant le pathos à la porte, ce récit d'un deuil, mais aussi du passage à l'age adulte et de la solitude glaciale qui peut figer une vie, dégage au final une force vitale étonnante. On est dans l'émotion vraie, le ton sonne juste et le récit est tout simplement fin et émouvant.

Dominique Baillon-Lalande 
(11/05/09)    



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Mercure de France

176 pages - 14,50 €