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Jean-Noël BLANC


La couleur de la rage



Six nouvelles mettant en scène six adolescents avec leurs univers personnels, pris à des moments cruciaux de leur courte existence. On y côtoie un jeune fugueur qui n'est évoqué qu'au travers des témoignages de ceux qui l'ont rencontré (Fugue en mineur), une jeune fille contre laquelle la vie s'acharne et qui voudrait que tout s'arrête (Toi au moins tu dis rien), Theo qui joue le tout pour le tout lors d'un combat de boxe dans l'espoir de reconquérir l'amour de Charlène (Le vainqueur), la complicité de deux jeunes que tout semble opposer lors d'un voyage scolaire au cœur d'un territoire marqué par les horreurs du passé (Ce genre de vieille histoire), la relation de la curieuse et sensible Natalia avec un poète sous la haute surveillance du pouvoir en place (Petite colombe), un jeune homme sûr de lui et de sa jeunesse qui affronte son père... au ping-pong (Ping-pong).

Toutes sont extrêmement efficaces mais les vingt pages de Ce genre d'histoire, avec la conjugaison subtile du couple d'amies formé de la frivole Sarah et de son amie Madeleine plus mûre et plus consciente du contexte qui les entoure en cette année 1942 avec celui que forment Rodolphe, le bon élève sérieux avec le jeune contestataire plongé dans sa musique nommé Simon lors d'un voyage en Pologne à Oswiecim en Mai 2007, réunis, tous, par une paire d'escarpins rouges et voyants qui semblent n'avoir jamais servi, m'a particulièrement impressionnée par sa construction et sa force d'évocation. Ses instants de pauses silencieuses, aussi. « L'herbe si verte entre les bâtisses. Les arbres si régulièrement et si rigoureusement plantés. Un monde immobile. Strict et sans pitié. »

Autre grand moment de lecture, la langue en coup de couteau dans la nuit du désespoir de la victime de Toi tu ne dis rien, m'a bouleversée.
« Tête en l'air cœur en bois. Accroch'toi accroch'toi ; Comme si t'avais le choix ; »
«  J'voudrais vivre à reculons. Être môme c'est le bon filon. Mais à mon âge faut que j'fonce. Mêm'si ma vie est pas d'aplomb. »
« Je connais la couleur de ma rage. J'ai plus de corps j'ai plus de cœur plus d'visage. »
A la première ou troisième personne, les ados ici parlent vrais, se disent juste, nous touchent.

Ces récits courts nous introduisent dans une palette variée d'univers mentaux au centre de quotidiens en pleine perturbation, au moment où tout semble basculer pour les personnages. Un apprentissage de la vie sous toutes ses formes, cruel et sublime, violent et tendre.
Des adolescents bien loin des caricatures et des généralités qui peuvent se lire ou s'entendre trop souvent à leur sujet, remplis de doutes et d'angoisses, foisonnants en ressentis.
C'est la richesse et la complexité de cet âge de tous les possibles, celui de la construction de soi au seuil du monde adulte, que l'auteur se plaît à explorer et restituer. Adolescence d'aujourd'hui qui parfois, dans certaines situations, avec la mise en musique de leurs expressions, trouve écho dans les souvenirs de notre propre jeunesse.

Tout et chaque mot est ici savamment réfléchi : l'écriture incisive, la construction rythmique qui s'appuie pour plus de vivacité sur la longueur des récits allant de l'instantané d'à peine une dizaine de pages à un court roman de soixante-dix pages, une sophistication stylistique à peine perceptible tant elle est magistralement maitrisée à base d'entrelacs de pronoms personnels (Petite colombe), de genres (récit entrelardé de slam dans Toi au moins tu dis rien), d'époques (Ce genre de vieilles histoires) ou de voix (Fugue en mineur).
Jean-Noël Blanc possède également l'art du récit protéiforme où le style s'adapte rigoureusement au sujet comme en témoignent les courtes phrases nerveuses et lapidaires utilisées pour la description du combat dans Le vainqueur ou le dialogue sportif, temps morts compris, entre le père et le fils dans Ping-pong. Efficace.

Un très beau recueil pour les adolescents mais aussi tous ceux pour lesquels cet âge n'est plus qu'un ou des souvenirs. Des nouvelles fortes, riches, qui imprègnent et donnent si bien l'envie d'y revenir.
Le plaisir est là, dans l'énergie, la maîtrise, mais aussi la subtilité, la sensibilité, le regard et l'humanité. Du grand art !

Dominique Baillon-Lalande 
(03/07/10)    



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Jeunesse








Gallimard Jeunesse

Scripto
208 pages - 8,50 €


à partir de 13 ans







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