Julian BARNES

Arthur & George



C’est une histoire vraie que relate le dernier roman de Julian Barnes, celle d’une erreur judiciaire survenue en Angleterre au tout début du vingtième siècle. Un jeune avoué, George Edalji, dont le père était un clergyman d’origine parsie, fut accusé d’avoir mutilé et saigné à mort un poney, et sans doute d’autres animaux, reconnu coupable et condamné à sept ans de travaux forcés, quoiqu’il ait toujours proclamé son innocence. Libéré au bout de trois ans, il s’efforça sans relâche d’obtenir sa réhabilitation et fit appel à sir Arthur Conan Doyle, qui, aussitôt convaincu, mit tout son poids d’écrivain célèbre dans la balance. Son intervention énergique permit finalement à George d’être gracié, et de reprendre son activité professionnelle interrompue.

L’originalité de la construction romanesque, qui fait alterner régulièrement de courts chapitres consacrés à chacun des protagonistes, permet de suivre la formation des deux héros depuis leur petite enfance et de reconstituer leur personnalité.

George apparaît comme un jeune homme paisible, sérieux et intelligent, qui se sent profondément anglais et voue un culte aux lois de son pays. Il leur a consacré sa vie, et garde en elles une confiance inébranlable ; injustement accusé, il compte bien qu’elles établiront son innocence, et, plus tard, qu’elles lui permettront d’être réhabilité comme il le mérite. Il se refusera toujours à admettre que l’injustice dont il a été victime puisse avoir pour origine un préjugé racial.

Arthur, lui, a été élevé par sa mère dans le respect de valeurs chevaleresques aussi estimables que surannées. Julian Barnes décrit avec une sympathie nuancée d’humour ce sportsman hostile au vote des femmes qui croit fermement en son rôle de protecteur désigné du sexe faible. Quand Arthur, marié depuis de longues années à Touie, qui souffre de tuberculose, tombe amoureux de Jean, une femme nettement plus jeune, son sens des responsabilités lui interdit de divorcer car il se sent tenu de veiller jusqu’au bout sur une épouse pour qui il a gardé une profonde affection. Par ailleurs, il ne peut se résoudre à déshonorer Jean en en faisant sa maîtresse. Il entretiendra donc avec elle, pendant dix ans, une relation à la fois platonique et passionnée, jusqu’à ce que son veuvage lui permette enfin de l’épouser.

C’est le même sens de l’honneur qui le pousse à prendre fait et cause pour George, dont l’innocence est d’emblée pour lui une certitude, et à démonter le mécanisme de l’erreur judiciaire, par ailleurs admirablement décrit dans le roman. Malgré les dénégations de la victime, il semble que le préjugé racial ait joué un rôle important dans son histoire : les paysans du Staffordshire, frustes et incultes, ont apparemment mal supporté d’avoir pour pasteur un "moricaud". Pendant l’enfance de George, la famille Edalji a été victime de harcèlements divers, lettres anonymes, canulars douteux, inscriptions injurieuses, cadavres d’animaux déposés dans le jardin ou sur le bord des fenêtres. L’Honorable Anson, chef de la police locale, est par ailleurs persuadé que les métis sont par nature violents et pervers. Lorsque les agressions contre des chevaux et du bétail se multiplient, les soupçons, sans l’ombre d’une preuve, se portent immédiatement sur George. L’enquête est bâclée, les témoignages faussés, l’expert graphologue incompétent et partial. Cette partie du récit, qui aboutit à une condamnation inique, est aussi haletante qu’un thriller. Plus tard la contre-enquête menée par Conan Doyle, avec une efficacité digne de Sherlock Holmes, le bruit qu’il fait dans les journaux, la victoire qu’il finit par obtenir, même si elle n’est pas aussi complète qu’il le souhaitait, procurent au lecteur une satisfaction jubilatoire.

Le roman aborde aussi l’intérêt que sir Arthur portait au spiritisme, où il voyait non pas une résurgence de l’obscurantisme mais un champ plus large ouvert aux connaissances humaines. Il s’achève sur une séance quasi surréaliste postérieure à la mort de l’écrivain, au cours de laquelle un médium célèbre affirme sa présence dans la salle. George y assiste, et demeure dans l’incertitude : « Il ne sait pas s’il a vu la vérité ou des mensonges ou un mélange des deux. Il ne sait pas si la surprenante ferveur si peu anglaise de ceux qui l’entourent ce soir est une preuve de charlatanisme ou de croyance sincère. Ni, si c’est une croyance, si elle est fondée ou non. » C’est sur cette interrogation que prend fin ce livre passionnant.

Avec Arthur et George, Julian Barnes fait à la fois œuvre d’historien et de romancier. D’historien, car le livre s’appuie sur des recherches approfondie et cite des lettres, des articles de presse, des rapports authentiques. De romancier, car, en reconstituant de l’intérieur les sentiments et la personnalité de ses héros, il parvient à les faire vivre avec un relief étonnant dans l’imagination du lecteur.

Sylvie Huguet 
(22/03/07)    



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Mercure de France

552 pages - 24,40 €


Traduit de l'anglais par
Jean-Pierre Aoustin




© Isolde Ohlbaum
Julian Barnes
vit à Londres.
Le perroquet de Flaubert, qui l'a rendu célèbre, a été traduit dans plus de quarante langues. Il est l'auteur de seize romans, d'essais et de recueils de nouvelles. Il est le seul écrivain étranger à avoir été couronné successivement par le Médicis (1986) et le Fémina (1992).