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Sophie AVON



Les amoureux


Le roman commence par les obsèques du mari de l'héroïne, Sonia Pinget. Après nous avoir exposé avec une discrète pudeur la perte de son compagnon – Ce n'est pas la solitude qui l'effrayait mais l'absence et avec cette absence, l'impression d'une raréfaction des possibles alors que si souvent par le passé, elle s'était au contraire persuadée que le fait d'être privée de Jonas serait une façon de revenir à la case départ pour explorer d'autres vies. C'est ainsi qu'elle avait vécu, elle le comprenait maintenant : de façon segmentée, comme si chaque fois un changement de route, une bifurcation était encore envisageable, et elle réalisait à présent, que pour vivre de la sorte sur le fil, il lui avait fallu une confiance inébranlable mais qui d'autre que Jonas lui avait donné cette confiance ? – Sonia nous ramène aux années quatre-vingt, au moment où à dix-huit ans elle quitte son Bordeaux natal et ses parents, pour monter à Paris, suivre des cours de théâtre. Dans cette ville où tout était nouveau Sonia n'avait pas d'amis, pas de famille, personne, mais elle se sentait ivre de bonheur, délivrée de tout ce qui pouvait encombrer sa fulgurante et merveilleuse entrée dans le monde des adultes. Elle découvre la ville, avide de s'en imprégner et commence une vie d'apprentie comédienne et d'amoureuse. Elle n'avait jamais aimé jusque-là, sinon en se forçant, pour la forme, pour que sa main prenne celle d'un petit ami quand elle sortait.

Elle travaille à mi-temps, gagne un maigre salaire mais cela fait partie de cette année de découverte, de sa nouvelle et exaltante autonomie. A son cours de théâtre elle rencontre Jan, qui la remarque et s'attache à elle. Elle répond à cet amour tendre et certainement rassurant, et se laisse bercer par cette affection qu'elle ressent pour lui. Ils se nourrissaient de biscuits secs et s'allongeaient à tour de rôle tandis que l'un des deux, debout entre la table et le lit, jouait sa scène devant l'autre. Ils avaient l'embarras du choix. Entre le répertoire que le professeur leur recommandait et les scènes qu'ils se conseillaient mutuellement, ils n'en finissaient pas de vagabonder dans un monde d'illusions où ils avaient l'impression d'être des conquérants.
Elle réussit une première sélection pour le conservatoire et Jan qui la chaperonnait fièrement, n'en finissait pas de l'aimer davantage.

Cette tranquillité heureuse va changer lorsqu'elle rencontre Alexandre, ami et ancien amoureux de Jan, ce qu'elle savait. Ils commencent à se voir. Ils n'étaient pas dupes du sentiment qui montait entre eux (…) Alexandre était toujours censé aimer Jan. Sonia aussi.

Et là, soudain, la passion. Sonia tomba amoureuse violemment et sut qu'elle n'avait jamais aimé comme ça avec cette quiétude et cette joie. Avec la certitude que sans ce garçon, elle ne pourrait plus vivre.

Sonia et Alexandre décident de vivre ensemble et leur amour grandit. Sonia est heureuse. Même si elle semble avoir entendu ce qu'Alexandre lui avait dit quant à son attirance pour les garçons…

Dans cette période, sorte d'euphorie réciproque, au fil des expériences de Sonia, ou des événements qui surviennent dans son entourage, qu'il s'agisse de ses camarades de cours ou de ses parents qu'elle retrouve pendant les vacances, sa passion reste intacte, se nourrit. Je n'aurais jamais cru que c'était possible d'être heureuse à ce point murmura-t-elle. Cette relation remplit sa vie.

Mais tout en aimant Sonia, Alexandre était tombé amoureux de cette façon absolue qui pouvait le chavirer, le rendre idiot, le noyer. Il avait besoin d'en passer par là quel que soit le prix à payer – il ne savait rien du poids d'une vie, il n'en connaissait que la tyrannie du désir.

Sophie Avon en nous racontant cette histoire d'amour nous propose avec son héroïne des pensées sensibles sur le théâtre, sur le talent que l'on croit avoir ou pas, sur les désirs à cet âge, sur toutes les envies, à travers une intéressante lucidité. Elle savait bien qu'elle n'était pas une grande actrice mais son bel âge elle le voulait tout de suite. (…) Elle aimait écrire, elle aimait dessiner, elle aimait danser, elle aimait le piano, la littérature, la poésie, mais la scène, toujours lui avait paru le seul espace où atteindre au bonheur en conjuguant en une fois toutes les passions qui criaient famine en elle.

Et Sonia, au cours de ces intrusions dans les sentiments parfois complexes de ses protagonistes, nous amène à une réflexion sur l'amour et sa durée, sur la passion et comme elle le dit à son neveu, lors de ces courtes parenthèses au présent qui parsèment le récit, c'est comme si je n'entendais que maintenant ce qu'on m'a dit à l'époque…

Cette simplicité de ton, qui peut parfois passer pour légère, nous touche, faisant écho à cette jeunesse, la nôtre peut-être, ou celle que nous avons rencontrée chez nos proches. L'écriture de Sophie Avon est douce et c'est de cette façon que, l'air de rien, nous allons sentir progressivement la profondeur de ce qui, au premier abord, pouvait paraître anecdotique.

Est-ce bien l'amour le sujet du livre, même si le titre le suggère ? Ce roman sensible nous raconte une histoire d'amour certes, pas seulement entre deux êtres aussi passionnés ou avides de passion l'un que l'autre, mais il évoque aussi d'autres histoires, d'amour et de famille aussi, avec ce qui peut en modifier le cours. Quant au théâtre, faut-il voir ici une réflexion sur l'engagement, sur les tâtonnements, les incertitudes ? Faut-il penser que seule une forme de génie peut aboutir à une plénitude ? Et faut-il accepter dans ce cas qu'elle puisse n'être qu'éphémère ? Est-ce le message de Sophie Avon ? Une interprétation parmi d'autres ? Je vous laisse deviner. Ou choisir.

Anne-Marie Boisson 
(18/10/12)    



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Mercure de France

(Août 2012)
400 pages - 22 €











Sophie Avon
est critique de cinéma au journal Sud-Ouest ainsi qu'à l'émission Le Masque et la plume sur France-Inter. Les amoureux est son neuvième roman.




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