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Brigitte AUBONNET


D'autres à qui penser



Gaëlle, veuve de quarante ans, femme sérieuse et engagée, travaille auprès de jeunes enfants en situation familiale fragile. « Ses rides sont de jolis plis, des ondulations où nichent ses souvenirs. La signature de ses sourires. » Sa vie privée est habitée par le fantôme de Fabrice, l'époux aimant (trop ?) et possessif, disparu deux ans plus tôt dans un accident de voiture. Deuil difficile.
« Les amnésiques courent après leur passé, emplis d’un désert qu’ils ne supportent pas. Leur présent n’est pas un disque vierge qui permet de tout recommencer. Une deuxième vie pour décider en adulte, un leurre. Redémarrer en colimaçon autour du néant. Une horreur ». Mais Gaëlle se bat et refuse de s'enterrer.
Toujours fidèle, elle a l'exubérante et audacieuse Véronique, amie de toujours, qui la secoue et l'entraîne. Retrouvé depuis peu, presque par hasard, il y a Maxime, le compagnon de lutte perdu de vue à 22 ans. « Son nom, elle ne l’a jamais oublié. Son visage, elle tente de le reconstituer. Parcelle après parcelle. Un puzzle d’émotions. Son cœur vibre en dessinant le parcours de ses sourcils. Ils étaient sombres, barraient le bas de son front. Jamais, elle n’a réussi à percer les mystères qui se promenaient derrière les plis de son visage. Des plissements hercyniens, elle aurait dit qu’ils exprimaient ses révoltes. »
La fugace rencontre, via Internet, de Sylvain – « le rêve dans les tuyaux » pour rompre le vide inhabitable du deuil, parce que « la nuit libère. Tout est possible. La société est endormie. Plus personne pour surveiller, pour juger. » –, ne fut qu'une parenthèse agréable et rassurante.

Maxime, après avoir longtemps vogué sur les eaux de l'engagement politique, humanitaire et syndical – « Il a côtoyé tant de militants qu’il pourrait écrire le dictionnaire du parfait militant avec leurs motivations réelles, leurs fonctionnements, leurs richesses et leurs mesquineries, leurs réussites et leurs erreurs, leurs combats et leur générosité. Lui, le premier, il a couru d’engagement en engagement comme il l’a fait de femme en femme. » –, s'occupe aujourd'hui de jeunes en difficulté et participe, une soirée par semaine, à un groupe d'écoute de SDF. « Il a découvert le poids du silence. Celui qui emmure, qui crée des cloisons. Quand il y a trop de malheurs à dire, on ne dit plus, à quoi bon. Et parfois même, l’oubli protège. Certains ne savent même plus pourquoi et comment ils ont sombré. (...) Si souvent, on les a ramenés vers le bord d’une vie normale sans leur permettre de retrouver le nécessaire pour continuer un chemin possible, alors ils ont sombré de nouveau encore plus bas qu’avant comme celui qui augmente sa consommation après avoir arrêté des mois la cigarette. Addict, ils doivent l’être à la misère, voilà ce que parfois on leur dit. »
Depuis qu'il a quitté sa femme et son fils de quatre ans quelques années auparavant, il vit seul à Paris.

Dans une structure croisée, Gaëlle et Maxime, se racontent. Ils ont chacun leur histoire, leur fardeau mais tous deux travaillent pareillement dans le social, militants engagés au service « d’autres à qui penser ». Aujourd'hui, ils se retrouvent un soir par semaine auprès des SDF, vont ensemble au cinéma ou au restaurant. « Maxime prend la main de Gaëlle. Elles se parlent mieux qu’ils ne peuvent le faire. Le temps les aidera. » Enfin, tour à tour, ils se livrent jouant tantôt la franchise brute et émouvante tantôt l'omission pour garder toutes leurs chances de plaire et de séduire.

Avec ces ingrédients, l'auteur pouvait nous écrire une histoire d'amour ou se lancer dans la littérature de critique sociale sur le sort des enfants en difficulté et des laissés pour compte ou encore centrer son récit sur le militantisme... Brigitte Aubonnet, pour le plus grand plaisir du lecteur, n'a pas choisi.
Elle nous offre ici un roman sensible sur la confusion des sentiments qui met en situation les difficiles rapports entre soi et soi, soi et l'autre, soi et les autres. Se livre à une évocation attentive aux détails qui révèlent et aux voiles qui masquent et, d'une écriture simple, précise, sensuelle parfois ou poétique, nous confronte avec une grande sensibilité à l'humain équivoque et aux émotions du cœur et du corps.
Mais un roman peut en cacher un autre. Personnages en quête d'eux-mêmes, accrochés à l'espoir, au-delà de leurs peurs, des échecs, de l'absence, chacun se rêve encore « révolutionnant le monde, éliminant toutes les injustices, trouvant un abri à tous les sans-logis, une famille à tous les orphelins, un emploi pour tous les laissés pour compte ». Par le biais de l'engagement et des activités professionnelles de ses deux protagonistes, l'auteur glisse très naturellement du "psychologique" au "sociologique" avec une radiographie critique des dysfonctionnements sociaux agrémentée de quelques interrogations sur les leurres et bonheurs du militantisme. Au final, l'oscillation constante du Je à l'Autre, de l'Intime au Social, de la Révolte à l'Espoir, de la fragilité à la détermination, soulève, bien sûr, plus d'interrogations qu'elle ne propose de réponses et c'est peut-être cela, la qualité première de ce livre, son authenticité.
On s'y retrouve, s'émeut, bref, on s'attache.

Un livre riche et émouvant où les personnages vibrent de toutes leurs fibres et qui met le doigt sur ces questionnements diffus auxquels, face aux désordres sociaux et personnels, nous sommes tous confrontés.

Ce livre est le premier roman de Brigitte Aubonnet.
Pour son recueil de nouvelles, Le bleu des voix, elle a été finaliste en 2004 du prix de la nouvelle littéraire de Nanterre et a reçu une bourse Thyde Monnier de la SGDL.

Dominique Baillon-Lalande 
(30/04/09)    



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Ed. Le bruit des autres

160 pages, 16 €



En couverture,
une peinture de
Christian Viguié