Jean-Pierre ANDREVON

Le Monde enfin



Nous sommes à la fin du vingt et unième siècle. Souhaitant voir la mer une dernière fois, un très vieux cavalier parcourt du Nord au Sud une France qu'a désertée toute présence humaine, où les villes sont englouties par une végétation triomphante et que peuplent les représentants les plus divers du monde animal. Son cheminement fait l'objet d'une narration sans cesse interrompue et reprise, dont les épisodes séparent, sous forme d'intermèdes, les différents "livres" qui constituent Le Monde enfin. Ces "livres" sont eux-mêmes de longs retours en arrière, qui relatent la destinée de quelques personnages témoins et permettent au lecteur de reconstituer l'histoire de l'Extinction qui a anéanti l'espèce humaine, à la suite d'une pandémie foudroyante qui en a tué la plus grande partie et stérilisé les rares survivants.

De La Terre demeure à Demain les chiens, la disparition de l'humanité a souvent inspiré les auteurs de science-fiction, dont elle est devenue l'un des thèmes les plus classiques. L'originalité de Jean-Pierre Andrevon doit donc être cherchée ailleurs, dans le plaisir évident qu'il prend à imaginer « une Terre libérée de l'Homme pour être rendue au reste de la Création ». Ce n'est pas un hasard si l'ouvrage est dédié à la Ligue des droits de l'Animal, au WWF et à d'autres organisations dont les buts sont analogues. Le narrateur suggère que l'humanité a mérité son sort, peut-être d'ailleurs programmé par une intervention extraterrestre qui a sauvé de ses griffes le « petit ballon spatial qu'elle avait copieusement salopé ». Dans Le Monde enfin, les animaux sont évoqués avec une empathie constante. On citera, par exemple, le livre 3, où des amis de rencontre libèrent les prisonniers d'un zoo, ou encore le livre 4, où les mêmes, onze ans plus tard, se rendent en Afrique pour y rencontrer des éléphants qui ont « enfin » – c'est le sens du titre – reconquis leur royaume. Cette empathie est si forte que Jean-Pierre Andrevon accorde à certains de ses personnages, dont le cavalier du début, le don de communiquer par télépathie avec les bêtes.

Cette communication télépathique, de même que la reconquête de la Terre par la Nature, engendre des pages d'une poésie puissante, dont les plus beaux exemples se trouvent peut-être dans le livre 6, intitulé « Le dernier homme dans Paris », un Paris où l'on croise un bison solitaire qui traverse le Pont Royal en quête de son troupeau perdu, un lion qui chasse le zèbre dans le jardin des Tuileries, et où un éléphant, à la demande du dernier homme, lui ouvre la porte d'un magasin en « faisant peser sa patte aux ongles de granit contre le battant qui éclata comme une bombe ». Le même homme, le soir venu, partage le sommeil d'un grand félin : « […] une forme chaude, souple, nerveuse se coula près de lui sans plus de bruit que l'aile du vent sur l'eau dormante. Je ne te dérange pas ? gronda une voix étonnamment douce de toute sa puissance contenue. Non, au contraire, je serais heureux que tu viennes dormir contre moi. Il passa un bras sur une encolure électrique, une longue queue giflait l'air contre ses jambes, une gueule qui sentait fort le sang frais était entrouverte près de son visage ; au fond d'une face plus noire que la nuit la plus noire, deux prunelles à la phosphorescence verte le considéraient sans ciller, avec une bonhomie à laquelle il était sans doute téméraire de se fier. Il blottit son corps contre le flanc de la panthère noire, appuya sa tête contre son poitrail, entre les pattes de devant dont la gauche, griffes rentrées, vint se poser sur son épaule. La toison de la panthère avait une douceur de laine, 1’odeur qui s’en dégageait était une odeur de vie chaude, de chair palpitante, d'existence invulnérable. Il se serra davantage contre la bête frémissante. Autour d'eux la nuit gonflait sa matière poreuse. Il ne sut à quel moment il s 'y confondit. »

Le Monde enfin s'achève par une conclusion dans laquelle l'auteur jette un dernier regard sur les diverses formes de vie qui ont envahi le monde, de l'abeille Xylocope au tigre blanc, en passant par l'araignée, le renard, le panda, la couleuvre, le hérisson et bien d'autres. On ne lui en voudra pas de quelques erreurs, comme d'oublier que l'effraie est un oiseau nocturne ou que le lézard, contrairement au serpent, dispose de paupières mobiles, tant il évoque avec bonheur ce foisonnement multiple. Jean-Pierre Andrevon n'a cependant pas, et c'est heureux, la naïveté de présenter ce triomphe de la Nature sous les couleurs d'une idylle rousseauiste. Ici, la loi est de manger et d'être mangé, et il n'élude rien de ce processus cruel. Mais, semble-t-il nous dire, ce cycle ininterrompu de la vie et de la mort vaut cependant mieux que le désert biologique qui avait failli s'y substituer. Est-ce à dire que tout espoir est perdu pour l'Homme ? Pas tout à fait. Quelques couples ont survécu et se révèlent à nouveau capables de procréer, grâce encore, semble-t-il – ici, l'auteur se contente de suggérer entre les lignes – à cette mystérieuse intervention extraterrestre qui était déjà à l'origine de l'Extinction. L'ouvrage s'achève donc sur une fin ouverte qui, pour un avenir encore lointain, rend tous ses droits à l'humanisme en autorisant l'espoir d'une renaissance et d'une vie plus harmonieuse avec le reste de la Création. Mais dans l'immédiat, et ce sont les derniers mots du livre, « la grande nuit qui a avalé l'humanité n'est pas près de se lever. »

Sylvie Huguet 
(16/06/06)    



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Editions Fleuve Noir

484 pages - 20 €






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