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Khaled AL KHAMISSI

Taxi


Le Caire ! La plus grande ville d’Afrique et du Moyen Orient avec ses 17 millions d’habitants, ses centaines de minarets, ses rues grouillantes d’affluence et où résonne un tumulte de klaxons, de musiques, de chants et de cris. Et puis ses taxis ses milliers de taxis noir et blanc ou jaunes qui circulent jours et nuits et transportent autant de passagers que plusieurs lignes de RER parisiens ; c’est d’ailleurs pour les Cairotes le moyen de transport le plus commode pour se rendre en ville. Pourtant ils ont des règles de fonctionnement qui dérouteraient le moindre touriste qui débarquerait au Caire sans en être averti : le compteur n’est physiquement là que comme ornement pour décorer la voiture et déchirer le pantalon des clients qui s’asseyent à côté du chauffeur, le tarif de la course est négocié au départ en fonction de l’aspect physique et social du client et peut évoluer au cours du trajet.

Khaled Al Khamissi, les connaît bien, les taxis de sa ville natale, il les a criés souvent d’un trottoir à l’autre du Caire, a subi leur inconfort (la plupart sont vieux de plus de quinze à vingt ans) et les bavardages de leurs chauffeurs, car les chauffeurs cairotes sont aussi bavards que ceux de Paris, ils parlent d’eux, de leur ville, de la circulation et puis bien entendu de politique.

Al Khamissi pour son premier roman Taxi s’est souvenu de ses conversations avec ses compatriotes croisés le temps d’une course, il construit en cinquante-huit courts chapitres l’épopée sociologique de sa ville.

Dans le kaléidoscope de ces cinquante-huit instantanés, ces cinquante-huit micro-chroniques, nous découvrant la vie quotidienne de l'Égypte contemporaine : la pauvreté grandissante de son peuple, sa rancœur vis-à-vis de ses dirigeants, son désespoir face à l’état de corruption dominant de ses fonctionnaires, son désir de revanche pour son armée sans pour autant vouloir la guerre, simplement retrouver la fierté d’une nation. Ils nous feront la guerre. Si ce n’est pas demain, ça sera après demain. Donc le rôle de chacun dans ce pays est de préparer ses enfants à la guerre car elle arrive fatalement. Il faut qu’on insuffle à notre armée l’esprit qui l’animait lorsque j’ai combattu dans ses rangs… proclame l’un des chauffeurs de taxi que Kahled entend et transcrit dans ce livre.

Al Khamissi écoute les confidences de ces hommes dans l’intimité de l’habitacle de leur taxi, il les grave dans sa mémoire comme sur les sillons d’un vinyle qu’il écoutera plus tard. Il écoute cet homme qui ne va plus au cinéma ni au théâtre depuis plus de vingt ans et qui se rend compte que le prix des places s’est multiplié par 1000 et devine alors que le peuple égyptien ne peut plus s’offrir le luxe de la culture, de sa culture ; il écoute cet autre lui raconter l’histoire de cette femme voilée qui s’est changée dans son taxi pour apparaître en soubrette aguichante pour servir dans un restaurant du vieux Caire et cela afin de gagner bien mieux sa vie que si elle avait été employée dans un hôpital comme elle s’efforce de le faire croire à ses proches ; et cet autre qui mort de fatigue conduit depuis trois jours et trois nuits sans répit au point de s’endormir au volant, laissant par instant son taxi dévier dangereusement et cela afin de respecter la promesse qu’il a faite à son épouse de ne pas rentrer chez eux avant d’avoir gagné assez d’argent pour nourrir le foyer.

Al Khamissi touche du doigt les faiblesses de l’Égypte, mais dans chacun de ces hommes rencontrés le temps d’un trajet en taxi, il décèle l’énergie qui pourrait jaillir d’eux pour redonner à cette nation non seulement les couleurs de leur drapeau mais les moyens de vivre avec décence… De toute façon, constate l’un de ces chauffeurs de taxi, le gouvernement va accepter tout ce que voudraient nous faire subir les Américains. La seule proposition qui pourrait leur plaire serait que les Américains installent des caméras dans tous les foyers égyptiens pour contrôler l’explosion démographique.

Il n’y a plus de pharaons en Égypte, mais des Égyptiens !
En lisant ce livre, il n’est pas rare d’entendre en filigrane la foule cairote… les klaxons, les cris, les chants, les plaintes des rues du Caire ; il n’est pas rare d’entendre la rumeur de la foule qui monte des poitrines pour libérer l’instant d’un dialogue sa colère, sa soif de justice, sa faim de rêves…

À la lecture de ce livre, en terminant sa dernière page, nous restons rêveurs comme si nous étions encore ballotés par l’un de ses taxis alors que le chauffeur a interrompu son bavardage et qu’il poursuit tranquillement sa route dans les rues du Caire.

Sans aucun doute, Khaled Al Khamissi avec ce premier roman rentre dans la lignée des grands romanciers égyptiens : Mahfouz (Prix Nobel de littérature), Al-Kharrat, Ghitany, etc. Son deuxième opus Safinat Nûh (L’arche de Noé) est paru au Caire fin 2009, nous attendons donc avec impatience sa traduction.

David Nahmias 
(29/04/10)    



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Lectures










Editions Actes Sud

192 pages - 18,80 €

Traduit de l'arabe
(Egypte)
par
Moïna Fauchier Delavigne
et
Hussein Emara








Khaled Al Khamissi,
né au Caire,
est producteur, réalisateur
et journaliste.








Couverture de
l'édition anglaise