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Max ALHAU

L'état de grâce


Ce recueil de nouvelles est le cinquième que présente Max Alhau que je connais bien plus dans son écriture en poésie qu’en nouvelle. L’état de grâce est à la fois le titre du recueil et le titre de la première des huit nouvelles qui composent ce nouvel opus.

L’existence a parfois des allures de labyrinthe, où la réalité vécue n’est pas vraiment la réalité, mais nous entraîne vers une sortie sans issue. Les évènements rencontrés se chargent de modifier l’enchaînement logique des choses et la vie dérape. C’est ainsi que la première nouvelle du recueil, L’état de grâce, commence avec le retour en cellule du personnage qui vient d’être condamné à être pendu.
« L’accusé, sain d’esprit, reconnu coupable, est condamné à être pendu. » Ces paroles sonnaient de nouveau dans sa tête. Il s’était assis sur l’unique trépied, prostré, incapable de comprendre. Il lui semblait que le temps allait continuer et qu’il l’accompagnerait dans son cours irréversible. Comment songer à cette rupture inexorable, à ce passage de la vie au néant ? Son corps, encore jeune, serait privé de toute chaleur, offert à l’absence.

Le décor est planté, cet étrange début d’histoire ne l’est pas au regard de ce qui va advenir. Notre personnage va sortir de prison pour servir l’Empereur : il sera chargé de la réorganisation des Grandes Bibliothèques de l’Empire. C’est quand tout lui réussit qu’à nouveau tout bascule. La mise en énigme est magistrale, le personnage ne maîtrise pas ce qui lui arrive. Toute l’histoire concourt à nous faire croire à ce que vit le personnage mais aucunement à en comprendre les ressorts. Il n’est sûr que de ce qu’il construit, réalise… tout le reste le plonge (et nous plonge) dans l’expectative. Cette réalité modifiée par les évènements au début de l’histoire nous fait perdre pied. La dimension fantastique et tragique de l’histoire ne nous offre aucun répit, jamais nous n’avons l’occasion de nous raccrocher à la logique rassurante. En fait, comme dans la vie, notre vie, la logique est souvent battue en brèche par l’insolite. Parfois même, nous croyons nous en sortir alors qu’à notre insu, nous nous enfonçons plus avant dans la déconvenue. Voilà ce que nous raconte L’état de grâce.

Le retour nous raconte l’histoire d’une méprise. Un homme qui sort de prison veut se venger de la femme qui l’a dénoncé aux autorités. Il croit la tuer en allant chez elle, mais quelques heures plus tard, la voit arriver chez lui. La surprise est telle qu’il se fera défenestrer par elle, sans comprendre la méprise du début de l’histoire. Il croyait maîtriser son avenir en faisant cet acte (se doutant d’un retour en prison très proche) et l’insolite est venu perturber son dessein.

Une photo, À Paris et Une arrestation sont trois nouvelles différentes mais où le personnage/narrateur vit plus par ce qu’il imagine que par la réalité. De même pour Un portrait où le personnage va se complaire dans ce qu’il imagine du sosie qu’il découvre dans un portrait exposé dans un musée, jusqu’à vivre quelque chose de la vie supposée du sosie et y perdre la vie.

Vol AC 314 nous entraîne dans le monde étrange de l’inouï. Un avion s’écrase avec tous ses passagers et l’équipage : le dernier message faisant état d’un réacteur en feu et de l’impossibilité de faire demi-tour. Quand les sauveteurs découvrent l’avion en pleine zone assez désertique. L’avion est en bon état, pas de trace d’incendie et, encore plus fantastique : pas de passagers, pas d’équipage. Personne… Toute la nouvelle va porter sur l’impossibilité de donner une information pareille aux familles des disparus. Jusqu’où les autorités iront-elles pour donner une version crédible si loin de la réalité bien trop fantastique.

Le recueil se termine par la nouvelle Métro qui vient clore le cycle. Nous sommes toujours dans du fantastique. La première nouvelle nous présentait un prisonnier condamné à mort qui sort de prison, la dernière nous raconte l’histoire d’un homme libre qui va se trouver enfermé dans un métro automatique hors de toute station attendue. Cela commence de la façon la plus sereine :
Je ne suis pas en retard. Lorsque je descendrai à la station Oriente, terminus de la ligne, j’aurai le temps de flâner sur l’avenue des Héros avant de gagner mon bureau.

Max Alhau sait avec justesse nous envelopper de son verbe dans ses histoires étranges. L’écriture fouille les ressorts humains qui essaient de répondre à l’insolite qui advient. Le lecteur croit s’en sortir avec la logique rassurante qu’il connaît bien mais n’a pas en sa possession toutes les clés. L’insolite que nous présente l’auteur est si fort que la raison s’y perd. Nous flottons dans l’étrange avec une empathie pour le personnage. Merci à Max Alhau pour ce recueil aux nouvelles si étranges. La force qui émane de ces nouvelles fait que les histoires continuent de vivre dans ma tête. L’être humain y est excellemment présenté avec ses failles, ses ressorts psychologiques qui lui permettent (le croit-il) de répondre à l’insolite qui se présente à lui. Un recueil passionnant à lire et à relire tant cela est étonnant et plaisant.

Gilbert Desmée 
(09/07/09)    



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Lectures










Editions du Petit Pavé

150 pages - 15 €








Max Alhau,
né en 1936 à Paris, a été professeur de lettres et chargé de mission pour la poésie à Paris X Nanterre. Auteur d'une vingtaine de recueils de poésie et de cinq recueils de nouvelles, il a reçu le Grand prix de la nouvelle de la SGDL,
le prix Artaud,
le prix Charles Vidrac
et le prix Georges Perros...