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Robert ALEXIS

Les Contes d'Orsanne



Au fur et à mesure que les années vont passer, on lira et on écoutera davantage Robert Alexis ainsi qu'il impose d'être lu, en état de constante stupéfaction, les yeux écarquillés et le cœur battant, comme, la première fois, on lit Mikhaïl Lermontov (dans Un héros de notre temps) et on écoute Gustav Mahler (à travers sa Neuvième Symphonie en Ré majeur). Depuis La Robe, en janvier 2006, jusqu'aux Contes d'Orsanne, six ans plus tard, il est toujours question d'accords dissonants et de lectures désordonnées chez cet écrivain lyonnais de cinquante-six ans (mère pianiste et père militaire).

Publiés par Fabienne Raphoz et Bertrand Fillaudeau à la prestigieuse enseigne des éditions José Corti, ses huit romans posent comme postulat la négation de l'identité. Selon l'auteur, il n'y a pas d'image unique de l'individu : chacun de nous est différent suivant les périodes et les circonstances de la vie et certains possèdent un double, féminin ou masculin, un état sexuel qu'ils assument plus ou moins ouvertement. Le moi est pluriel, ne cesse-t-il de déclamer, et l'identité se lézarde en autant de miroirs déformants.

À l'exemple des livres précédents, Les Contes d'Orsanne combat le piège de l'unicité individuelle au bénéfice d'une altérité revendiquée dans l'être, la condition et le genre humains. Les deux récitants, l'auteur et son "héros", Urbain Grandier, interviennent alternativement dans un renversement complet des règles dramatiques d'unité d'action, de lieu et de temps. Des trois contes, le second revisite un fait historique : en 1634, convaincu de commerce démoniaque avec des religieuses du couvent des Ursulines de Loudun, Urbain Grandier, curé de l'église Saint-Pierre du Marché, est envoyé au bûcher. Étudiant parisien, l'Urbain Grandier du troisième récit retrouve ses quatre tantes dans les Deux-Sèvres, au printemps 1957, après un échec au concours de médecine. Le Grandier du premier des Contes campe un ouvrier de nos contemporains employé d'une tréfilerie…

Au-delà de la désintégration identitaire et sociale des personnages, un étourdissant dérèglement des sens innerve chacune des intrigues. Religieuses, tantes et ouvrières, les partenaires féminines des narrateurs n'effeuillent pas la seule marguerite ; elles font allégrement craquer les coutures des convenances. Délicieusement immorales et vénéneuses, ces fables-là sont écrites au bistouri avec une sensibilité d'acupuncteur et une justesse de miniaturiste. L'art est poétique, la langue sensuelle ; l'œuvre, inclassable, confine au vertige. Robert Alexis nous persuade que le roman est un lieu privilégié où peuvent se croiser et s'inverser, voire s'annuler, les destinées individuelles et collectives entre vies réelle et surréelle : le roman est une arène qui lui permet d'aller plus loin, plus profond, au-delà des apparences et des idées reçues. Il n'y a sans doute pas de définition plus moderne de la littérature.

Claude Darras 
(03/11/12)   
Lire sur notre site les "Papiers collés" de Claude Darras



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Lectures









Editions José Corti

(Septembre 2012)
256 pages - 17,50 €





Robert Alexis
a déjà publié huit livres chez le même éditeur. Certains ont été repris en collection Points Seuil.