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Bella AKHMADOULINA

Histoire de pluie et autres poèmes


Voici un recueil qui comble un vide. En effet, c’est le premier recueil traduit en français de la poésie de cette grande voix encore vivante de la poésie russe. Ce recueil couvre une période de cinquante ans (1956-2006). À cette occasion, je voudrais saluer l’infatigable et beau travail de traduction de Christine Zeytounian-Beloüs pour faire connaître la richesse de la poésie russe. Dans la préface du recueil, elle nous dit les options de traduction qu’elle a choisies : Les poèmes de Bella Akhmadoulina sont rimés de manière classique, ce qui n’est plus guère de mise en français, la rime syllabique aplatissant d’ailleurs – souvent mortellement – la richesse et l’harmonie du jeu des accents russes. Mes choix de traduction sont en grande partie intuitifs, fondés sur le rythme et les assonances, l’attachement à l’esprit sans bafouer la lettre. Par-dessus tout, il m’a toujours semblé indispensable de faire passer chaque poème traduit par une sorte de vibration intérieure, proche de l’inspiration ressentie quand on écrit soi-même et que j’espère faire partager au lecteur français.

Bella Akhmadoulina est née en 1937 à Moscou. Elle a dix-huit ans quand paraissent ses premiers poèmes. En 1959 elle est sanctionnée pour s’être opposée à la persécution de Pasternak. Son premier recueil parait en 1962. C’est l’époque où elle participe au mouvement des « poètes des tribunes ». Les poètes de ce mouvement disent leurs poèmes devant des milliers de personnes. Bella Akhmadoulina est certes moins politisée que ses compagnons, mais elle reste, en dépit du foisonnement de la poésie russe d’aujourd’hui, une référence et fait partie du paysage poétique actuel. Son écriture est passée d’une « limpidité lyrique » de ses débuts déclamatoires à la plongée dans un paysage intérieur de plus en plus complexe mais très poignant. Bella Akhmadoulina fait partie de ces voix légendaires qui par leur force et leur sincérité ont marqué les années 60 (période de dégel poststalinien). Il est difficile de vous présenter un poème, Bella Akhmadoulina écrit dans des poèmes très longs, mais je vous présenterai un extrait pour que vous en fassiez une idée. Il s’agit d’un extrait de la suite Histoire de pluie, le dernier poème (le n°13) :

La vue de mon malheur effarouche les passants
Je leur dis :
– Ce n’est rien. Laissez donc.
Ça passera bientôt.
Sur l’asphalte sec,
J’embrasse une tache d’eau.

La nudité de la terre chauffe à blanc.
Autour de la ville l’horizon est rose.
Et le service météo terrorisé
ne prévoit aucune précipitation, jamais.

(Tbilissi-Moscou, 1962)


Et pour vous montrer ce monde intérieur que Bella Akhmadoulina écrit maintenant, voici un extrait de La Cerisaie :

Décrirai-je cela ? Je ne sais plus écrire…
Le monde est prisme, somme de disputes et d’hostilités.
La cerisaie fleurit à ma fenêtre :
ce jour de février si blanc en sept couleurs,
Jardin d’un jour despote à floraison précieuse.
Les yeux fermés que vois-je à la fenêtre ?
La neige du Jardin, plus audible que l’humaine sottise.
La Cerisaie ne berce pas de cerises,
non que le bûcheron lui promette l’éclosion d’un désert désolé.
Dès le début, l’union paraissait condamnée :
de la pensée et des inflorescences du décor visible.
Ainsi pensait Bounine : chacun pourra le lire
s’il le désire. Je le lis à cette heure.
Et plus le spectateur contemple le Jardin,
plus le Jardin conserve son secret.
Et peu importe ce que je lis dans la nuit,
qu’on le comprenne ou pas,
Le secret se révèle et se ferme. Combien de
temps peut-on se désoler sur le mystère que la nacre referme ?...

(février 2006)


Je vous recommande ce recueil qui porte à notre connaissance, à notre bonheur, cette voix si forte et puissante. Bella Akhmadoulina m’a subjuguée par la beauté de sa poésie, le souffle qui nous imprègne et cette présence si prégnante dans les poèmes d’aujourd’hui.

Gilbert Desmée 
(03/04/09)    



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Poésie









Editions Buchet-Chastel

144 pages - 10 €