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Jussi ADLER-OLSEN
Miséricorde
Ce thriller nous accroche dès le prologue : "Elle résolut
de cultiver des pensées qui s'ouvriraient sur le monde afin de garder
la folie à distance. Jamais ils ne réussiraient à lui faire
lâcher prise."
Vient alors le premier chapitre, qui se passe en 2007, et nous faisons connaissance
avec un commissaire qui "après vingt-cinq ans dans la police
[...] se croyait endurci. Jusqu'au jour où une affaire était
venue percer son armure. On les avait envoyés, Anker, Hardy et lui inspecter
une baraque pourrie [...] Aucun d'entre eux n'aurait pu deviner à
quel point cette affaire allait mal tourner ! Ni savoir qu'il ne se passerait
pas plus de cinq minutes entre l'instant où ils pénétreraient
dans la pièce nauséabonde où gisait le corps, et celui
où il verrait Anker à terre, allongé dans une mare de sang
pendant que Hardy marchait sur ses deux jambes pour la dernière fois
de sa vie et que lui-même perdait irrémédiablement le feu
sacré qui faisait de lui l'inspecteur qu'il était au sein de la
brigade criminelle de la police de Copenhague."
Ensuite, nous revenons au personnage du prologue, l'année étant
indiquée : 2002. L'auteur nous présente Merete Lyyngaard, vice-présidente
du parti des démocrates. "Ils [les tabloïds] l'adoraient
: Pour ses répliques acerbes [
] son insolence face au Premier
Ministre et à sa cour [...] sa jeunesse et son succès
"
Nous apprenons ensuite que Merete Lyyngaard, disparue sur le ferry qui la ramenait
de ses vacances avec son frère au printemps 2002, est retenue prisonnière
dans une sorte de cage. Ses bourreaux, qu'elle ne peut identifier, vont lui
faire subir maintes privations en alternance : lumière, obscurité,
etc. tout en la maintenant en vie, avec une nourriture à la limite du
mangeable. Elle lutte d'une façon désespérée en
se demandant qui elle a bien pu offenser ou maltraiter pour être ainsi
l'objet d'une telle cruauté. Et elle ne comprend pas, ce qui accentue
sa détresse, même si les voix d'une vieille femme, et de deux hommes
jeunes lui parviennent, pour lui donner des indications sur des futures privations.
L'auteur nous distille alors ça et là quelques éléments
pouvant nous donner des indices, ce qui ne fait que multiplier les hypothèses.
S'agit-il de raisons politiques ? D'une vengeance plus personnelle ?
Pendant ce temps-là, en 2007, nous voyons le commissaire Carl Mørck,
revenu de son arrêt maladie, à qui sa hiérarchie confie
la direction d'un nouveau service. Dans un bureau minuscule, (mise au placard
/ promotion !!!??) il va diriger ce département V et reprendre des affaires
non résolues depuis plusieurs années. Il accepte ce "placard"
pensant ainsi pouvoir traîner sa dépression et sa culpabilité
au milieu de vieux dossiers qu'il va prendre le temps de lire tout en faisant
la sieste à l'occasion. Néanmoins, après avoir montré
à ses supérieurs qu'il n'était pas dupe de leurs magouilles
(le budget soi-disant attribué et ponctionné etc.), il exige d'avoir
au moins un collaborateur. Et nous voyons un duo surprenant fonctionner, le
commissaire et son assistant, Hafed el Assad. Ce dernier, réfugié
syrien, homme à tout faire, va devenir un ingénieux et pertinent
partenaire. Différent du commissaire et complémentaire.
Et leur première affaire est bien sûr celle de la disparition de
Myrete : cette affaire était pourrie. Beaucoup trop inconsistante.
On avait enquêté à droite et à gauche, sans priorité
définie. Bref, il n'y avait aucune explication valable. Et pas de mobile.
Alors les deux compères vont s'acharner à trouver le mobile, à
éplucher les traces les négligences des premiers enquêteurs.
Quitte à se faire de nouvelles inimitiés chez ses anciens collègues,
Carl Mørck exploite avec une logique et une minutie implacables, les erreurs
commises lors de la première enquête : tu aurais peut-être
dû te donner la peine de montrer une photo [...] à Sos Norup,
la secrétaire de Merete, ou à Bille Antsorskov le chef de la délégation
et tu aurais tout de suite vu que quelque chose ne collait pas !
Carl va aussi essayer de mobiliser son ancien co-équipier, paralysé
sur son lit d'hôpital.
Pendant que nous voyons très lentement mais sûrement progresser
les investigations lors des chapitres "2007", nous assistons, en parallèle
aux années de supplice de Merete : le jour de ses trente-trois ans,
quand ils éteignirent à nouveau la lumière et augmentèrent
la pression de l'air, Merete dormit pendant vingt-quatre heures. La certitude
que l'on décidait tout pour elle et qu'elle se dirigeait apparemment
vers l'abîme la terrassa [...] Elle était en train de penser
à des livres. Elle y pensait souvent pour éviter d'imaginer la
vie qu'elle aurait pu avoir, si seulement elle avait fait des choix différents
pour son existence [...] Le seul fait de se représenter la sécheresse
et la douce texture du papier allumait en elle une flamme de nostalgie.
Car le roman se déroule de la façon suivante : les chapitres 2002
vont alterner avec les 2007, ensuite 2004, 2005... jusqu'à ce que les
"années 2007" se rejoignent si l'on peut dire ainsi.
L'écriture de ce thriller est sensible, le style est clair, efficace
et laisse souvent cette impression de profondeur sous la banalité apparente
de certaines phases. Les caractères des protagonistes comme ceux des
personnages secondaires sont riches, complexes. Si certaines descriptions de
la captivité de Merete peuvent parfois être assez dérangeantes,
la pugnacité du commissaire et de son assistant nous tient en haleine,
et la construction du roman fait alors monter en puissance la tension. L'humour
peut alors venir alléger la densité du suspens : "à
cause du stress post-dramatique !" dit Assad, "On dit le stress
post-TRAU-matique, Assad !"
Le commissaire parviendra à cet endroit au fond de soi-même
où l'on réfléchit librement et sur un mode contradictoire,
exactement à cet endroit-là, plusieurs pièces du puzzle
vinrent prendre leur place et tout devint cohérent.
Arriveront-ils tous les deux à temps, comprendront-ils assez tôt
l'origine de cette implacable construction, et pourront-ils sauver Merete ?
Anne-Marie Boisson
(11/12/11)
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Noir & polar

Albin Michel
496 pages - 22,50 €
Traduction :
Monique Christiansen

Jussi Adler-Olsen,
écrivain danois, né à Copenhague en 1950, a déjà
publié cinq romans.
Visiter son site
(en danois) :
www.jussiadlerolsen.dk
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