Le chat


Le roman de Georges Simenon

Le film de Pierre Granier-Deferre





Après 190 romans populaires écrits sous dix-sept pseudonymes entre 1921 et 1934, et parallèlement aux enquêtes du commissaire Maigret (76 romans et plusieurs dizaines de nouvelles), Georges Simenon a écrit 117 romans « durs » ou « romans de la destinée » dont 34 ont été adaptés au cinéma, certains plusieurs fois et sous différents titres : Les fiançailles de Monsieur Hire devient Panique en 1946, Barrio en 1947 et Monsieur Hire en 1988 ; Le locataire devient Dernier refuge en 1939 et 1947 et L’Etoile du Nord en 1981.

Le chat, rédigé (comme d’habitude) en une semaine du 29 septembre au 5 octobre 1966 et publié aux Presses de la Cité en 1967, est adapté par Pierre Granier-Deferre en 1971.


Le roman

Marguerite Doise, 71 ans, et Emile Bouin, 73 ans, mariés depuis huit ans, ne s’adressent plus la parole depuis quatre ans et ne communiquent que par quelques mots écrits sur des petits papiers.
En alternance avec ce présent sordide et ritualisé, Simenon introduit peu à peu ce qui les a amenés là, la différence de leurs origines sociales, leurs précédents conjoints, leur rencontre, le début de leur vie commune, la crise qui les a conduits à cette situation de mutisme conjugal…

Emile Bouin est fils de maçon. Il a commencé à travailler à quatorze ans et c’est grâce aux cours du soir qu’il est devenu inspecteur des travaux au service de la voirie. Sa première femme, Angèle, était « une fille de la campagne, bien charpentée, avec de bonnes grosses mains rouges », devenue vendeuse dans une charcuterie. Ils menaient une existence simple et heureuse jusqu’au jour où Angèle, renversée par un autobus, est devenue impotente pendant deux ans avant de mourir.
Marguerite est la fille d’industriels, fabricants de biscuits, autrefois très riches, mais ruinés par une faillite un peu trouble. C’est son père qui a fait construire les maisons de l’impasse qui portait son nom. Elle reste propriétaire d’un des côtés de l’impasse et en perçoit les loyers. L’autre côté est en démolition et laisse place à un immense chantier qui ajoute au sentiment d’effondrement qui baigne le roman. Pendant plus de trente ans, elle a vécu avec un homme aussi distingué qu’elle, « un musicien, un artiste, premier violon à l’Opéra, qu’on voyait passer le soir en habit sous une cape noire et qui, longtemps, avait gardé l’habitude du haut-de-forme. »

Comment ces deux veufs, aussi disparates, ont-ils pu avoir l’idée de cohabiter ?
« Elle l’avait épousé par peur de rester seule, de n’avoir personne pour la soigner, en cas de besoin, parce qu’il fallait un homme dans la maison, ne fût-ce que pour couper et monter le bois et sortir la poubelle. »
Emile habitait dans la partie aujourd’hui détruite de l’impasse, en face de chez Marguerite. Un jour qu’il était à sa fenêtre, elle est sortie affolée. Une fuite dans la salle de bains inondait sa maison. Il est allé réparer. Elle s’est montrée aimable. « Il était difficile de dire, à présent, qui des deux avait envisagé le premier une vie en commun. » « Pour que l’homme reste, pour qu’ils puissent être deux sans péché, elle avait dû l’épouser et ils s’étaient trouvés un beau matin à former un couple. »

Et peu à peu, ils se sont découverts mutuellement. Plus de défauts que de qualités. Elle ne supportait plus ses cigares et surtout Joseph, ce « vulgaire chat de gouttière » qui avait emménagé avec lui. Quand Emile a dû rester couché quelques jours pour une mauvaise grippe, il y a quatre ans, c’est elle qui devait nourrir le chat. L’occasion était trop belle. Le raticide a agrémenté la pâtée. Joseph n’y a pas résisté. Fou de désespoir, Emile a bu, beaucoup bu, et s’est vengé sur le perroquet que Marguerite avait acheté peu après le décès de son premier mari. Quelques jours plus tard, c’est elle qui lui a tendu le premier petit papier : « J’ai bien réfléchi. Comme catholique, il m’est interdit d’envisager le divorce. Dieu nous a faits mari et femme et nous devons vivre sous le même toit. Rien ne m’oblige cependant à vous adresser la parole et je vous prie instamment de vous abstenir de votre côté. »

Le vilain jeu avait alors commencé et durait maintenant depuis quatre ans. « N’avaient-ils pas fini par y prendre un secret plaisir ? Les enfants jouent à la petite guerre. Pour eux, à présent, c’était la grande guerre, plus passionnante encore. » Une guerre que chacun mène avec ses armes et ses alliés, Mme Martin pour Marguerite, Nelly pour Emile… Une guerre sans merci, à la vie à la mort.

Les racines du roman

Elles se trouvent dans les relations de Simenon à sa mère. Elle lui préférait son frère, Christian, né trois ans plus tard. « Georges, c’est ton fils, Christian c’est le mien » disait-elle à son mari en présence des enfants.
A la mort de son père, Georges a 19 ans et aurait préféré la mort de sa mère mais elle vivra jusqu’en 1970 et aura l’occasion de se remarier. C’est cette deuxième union qui fournit la trame du roman.

Pierre Assouline explique clairement cette relation mère-fils dans sa biographie consacrée à Simenon :
Quand il parle d’elle, il peut être dur. Surtout quand il sait que le journal qui reproduira ses propos ne risque pas de tomber entre ses mains. Ce fut le cas lorsqu'il se confia à Brendan Gill du New Yorker : « Elle était avare, grippe-sou. Elle n'a jamais pu comprendre mon devenir d'écrivain. Sa grande ambition pour moi était que je devienne pâtissier. Elle nous imaginait avec bonheur, moi au four et elle derrière la caisse. Un jour, je l'ai mise dans Pedigree. Je reconnais que le portrait que j'ai tracé d'elle n'était pas seulement dur mais sans équivoque. De prime abord, elle en fut très blessée. Mais quand les gens sont venus de partout pour la voir, ça s'est arrangé. Elle faisait visiter la maison et montrait la table où j’avais soi-disant écrit mon premier roman, alors que celle-ci était vendue depuis longtemps... »
Simenon sait également être cruel quand il évoque sa mère, sous le masque de la fiction. Le Chat en témoigne. Ce couple qui ne trouve son énergie à vivre qu'en se déchirant, c'est celui formé par sa mère après la mort de son père. Marguerite Doise, veuve et remariée, c'est Henriette Simenon, veuve. Emile Bouin, surveillant de travaux à la retraite, veuf et remarié, c'est Joseph André, retraité des chemins de fer belges, un veuf avec qui elle s'était remariée en 1929 après avoir soigné sa femme. Une union qui durera vingt ans, jusqu'à la mort de celui-ci.
Sept ans après avoir écrit Le Chat, s'adressant à sa mère disparue, Simenon redevenu mémorialiste écrira :
« Le père André et toi n'avez pas tardé à vous méfier l'un de l'autre. II t'accusait d'avoir hâte qu'il meure pour toucher seule sa pension. Dieu sait s'il ne t'a pas accusée aussi d'avoir hâté la mort de sa première femme. Dans la maison de la rue de l'Enseignement, où il n'y avait plus de locataires, vous restiez seuls, face à face, deux étrangers, sinon deux ennemis. Personne n'a enregistré les phrases que vous avez échangées. Elles devaient être terribles et exprimer une haine profonde puisque, un jour, vous avez décidé de ne plus vous parler mais de vous servir de billets griffonnés quand il était nécessaire que vous communiquiez. Quand je parle de haine, je n'exagère pas. Je n'étais pas là, certes. Mais quand un homme et une femme qui vivent ensemble, unis par le mariage, en viennent à chacun préparer leur cuisine, à avoir leur propre garde-manger fermé à clef, à attendre que la cuisine soit vide pour manger à leur tour, comment expliquer ça ? L'un et l'autre, vous aviez peur d'être empoisonnés. C'était devenu une idée fixe, peut-être maladive ? » (Lettre à ma mère, 1974)
A ceux qui lui feront remarquer la cruauté de certains passages, il répondra que la réalité peut être pire encore : le père André retirait lentement, une à une, les plumes du perroquet d'Henriette, ramené du Congo par Christian, son fils adoré...
(Pierre Assouline, Simenon, Julliard 1992, Folio 1992 pp. 760 à 763)

Et Simenon, qui aimait à répéter « le roman commencé, je suis mon personnage, je vis sa vie », écrit dans Le chat : « C’était drôle. Par moments, il confondait Marguerite et sa mère ».


Le film

Pierre Granier-Deferre, avec la complicité de Pascal Jardin pour l’adaptation et les dialogues, a construit un film sur mesure pour Jean Gabin et Simone Signoret. Mission accomplie puisque chacun des deux comédiens recevra un Ours d’argent au Festival de Berlin pour Le chat.

Un film sur l’amour et le désamour, la jalousie, le vieillissement, la déception, le désespoir …
Ici pas de différences sociales, pas de remariage ni de vies antérieures. Simplement un couple ordinaire, usé, brisé par la vie, par le temps.
Julien Bouin, typographe retraité, est marié depuis vingt-cinq ans à Clémence, une funambule dont la carrière a été interrompue par une chute. Maintenant, elle boit et fume beaucoup malgré une maladie de cœur. Maladie de cœur aussi au sens figuré car elle est restée très amoureuse de Julien alors que lui a cessé de l’aimer.
Il n’en a que pour son chat. Clémence est jalouse des caresses, des mots tendres, des attentions que Julien ne cesse de prodiguer à son « Greffier ».
Lassé par ses crises, un jour, pour la provoquer, Julien tend son pistolet à Clémence. Mais ce n’est pas lui qu’elle veut tuer et c’est le matou qui va faire les frais du carton. Julien n’a pas de perroquet sous la main pour se venger alors il quitte le foyer conjugal et s’installe chez Nelly (Annie Cordy), une amie accueillante qui tient un hôtel de passe. Après quelques jours, il revient mais il ne lui adressera plus la parole. Plus un mot, seulement des petits papiers.

Le quotidien du couple déchiré, la lassitude de Julien qui n’a plus envie de rien, qui se sent vieux et sans désirs, la solitude de Clémence qui aime sans être aimée et noie son désespoir dans les verres de rhum, toute cette souffrance est très forte, magistralement interprétée dans un décor d’effondrement.
La destruction du quartier à coups de bulldozer, le bruit des marteaux-piqueurs et des grues, la ronde incessante des camions, créent autour du pavillon des Bouin le sentiment d’un monde qui s’écroule. Leur maison est expropriée, ils n’auront bientôt plus leur place… Un sentiment très largement partagé dans les années 70 avec la construction de La Défense sur les ruines de centaines de pavillons de banlieue. Un monde moderne émergeait avec des bouleversements si puissants et rapides que les générations précédentes se sentaient dépassées, débordées, impuissantes, inutiles. Le regard condescendant d’un jeune motard sur Gabin évoquant sa moto d’autrefois suffit à résumer cette mise au rancart des vieilles choses obsolètes.

Un petit florilège des dialogues :

Entre Clémence et Julien :
« - Tu vas me dire pourquoi ça t’a pris un jour de ne plus me regarder que comme un objet, de me préférer un chat trouvé dans la rue. Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Il ne s’est rien passé ! J’ai changé et c’est tout, voilà !
- Pourquoi tu as changé ? Tu as changé de quoi ?
- J’ai changé comme le monde entier a changé !
- Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
- Rien, tu as été parfaite, et moi j’ai été dégueulasse, dégueulasse comme tous les hommes. Je n’ai rien à te reprocher mais je ne peux plus te voir devant moi ! Je t’avais dit que je t’aimerais toujours. Et bien, je me suis gouré, j’ai vieilli, je ne t’aime plus !
- Mais moi si !
- Oh, je t’en prie, ne sois pas grotesque, pas à notre âge ! Maintenant, le temps nous a séparés et dis-toi bien qu’il nous séparera pour de bon un jour ou l’autre !
- Je préfère tout de suite !
- Tu n’as qu’à te suicider !
»
Il lui donne son pistolet.
« Tiens, ça fera un chouette fait divers : l’acrobate tue son mari parce qu’il l’a trompée avec le chat ! »

Entre Nelly et Julien :
« - Elle devait avoir une bonne raison de tuer ton chat ?
- Bien sûr, on a toujours une bonne raison de tuer. Elle aurait mieux fait de tirer sur moi. La mort sans s’en apercevoir. Hop, paf ! Les années ont passé. Maintenant, je suis au bout du rouleau et je n’ai rien compris.
»
« - Elle te manque ?
- Non, c’est le chat qui me manque !
- Tu mens ! Je connais les hommes, j’en ai aimé des dizaines !
- Bah, tu es courageuse !
»



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