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Jean-Philippe STASSEN



Déogratias



Nous sommes au Rwanda. Un garçon à moitié en loques et l'air égaré erre devant un bar. Il est chassé par la population locale. Un Français, ancien militaire aujourd'hui touriste reconnaît Déogratias et l'invite à sa table. Il lui confie que ce dont il avait la nostalgie c'est des filles tutsis. "Et si c'est pas malheureux quand on y pense : toutes ces beautés qui pourront plus faire profiter de la douceur de leurs cuisses, tous ces jolis petits morceaux découpés à la machette... Quel gâchis !..."

Les souvenirs de Déogratias se réveillent ; la mission catholique ; ses amies Appolinaire et Bénigne dont il est amoureux ; les propos racistes de leur maître d'école qui classe les élèves en hutu, tutsi et twa alors que les enfants n' y accordent aucune importance (Déogratias est hutu et ses deux amies sont tutsis ; les contrôles d'identité sur les routes pratiqués par les soldats français qui séparent les gens selon leur ethnie ; les harangues racistes à la radio engageant à "jeter les tutsis à la rivière pour qu'ils rentrent en Éthiopie", et après la mort du président Habyarimana "Ne laissez pas ce crime impuni. Levez-vous et allez au travail ! Affûtez vos outils, soulevez vos gourdins ! Il faut éradiquer cette race de cancrelats ! Cherchez-les dans tous les trous..."

Quand les massacres commencent, Déogratias protège Bénigne en la cachant chez lui. Puis les hutus l'enrôlent de force, l'obligeant à tuer, à violer. Quand il parvient à quitter la zone turquoise, il est déjà fou. "Ma tête, elle se répand : les chiens, ils mangent les ventres, et les ventres s'ouvrent. L'intérieur des ventres remonte vers les étoiles et les refond... De là-haut, elles les regardent qui se battent. Vous me regardez."

Un tutsi lui dit : "Vous, vous n'êtes pas tous coupables... Et toi, pauvre fou, tu n'es suspecté de rien en particulier... D'ailleurs les prisons sont pleines. Il n'y a plus de place... Et certainement plus de place pour les chiens..." Car Déogratias se prend pour un chien et la magie du dessin nous le montre se transformer en chien, affolé, torturé par ses souvenirs. "Ma tête qui se répand dans le jour, l'intérieur des ventres se mêle à l'intérieur de ma tête... et les lames affûtées dans des sexes de femme..."

Dessins magnifiques au service d'un scénario sobre mais sans concession pour le rôle joué par les Français dans cette guerre. A lire du même auteur, en collaboration avec Lapière : Le bar du vieux Français.

Nadine Dutier 
(Encres Vagabondes N°24 - Hiver 2001-2002)    



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Bandes dessinées











Aire Libre / Dupuis
14,95 €

















Stassen-Lapière
Le bar du vieux Français.