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Regina SCHEER

Le chant du genévrier

Cette fresque historique et romanesque couvre une vaste période, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours en passant par la chute du Mur de Berlin. Les personnages qui prennent tour à tour la parole pour construire ce roman polyphonique vivent en RDA. Chacun d’eux incarne une période, une idéologie.
Clara est le personnage central. C’est elle qui fait le choix d’acheter une vieille chaumière dans le village de Machandel pour s’échapper de Berlin le temps des vacances, et y rédiger sa thèse sur le conte du genévrier. Et ce village va devenir le cœur du roman.
C’est aussi dans ce village que le père de Clara, Hans Langner, a été soigné à son retour de camp de concentration, après dix ans de détention, car dès 1935 il est emprisonné en tant que membre du Parti communiste.  Il participe en 1945 à ce qu’on a appelé la marche de la mort pendant laquelle les soldats nazis n’hésitaient pas à abattre tous les prisonniers qui ne pouvaient plus marcher. Lui-même n’a pu survivre que grâce à ses compagnons qui l’ont porté jusqu’à ce village. C’est pendant sa convalescence à Machandel qu’il succombe au charme de son infirmière, Johanna, qui devient sa femme et la mère de Jan, puis de Clara. Hans reste fidèle à ses engagements de jeunesse même quand l’URSS écrase le Printemps de Prague et condamne ses anciens camarades. Il incarne cette classe de nouveaux privilégiés des républiques soviétiques qui peuvent obtenir des faveurs là où les citoyens de base se heurtent à une bureaucratie désespérante.
Natalia, originaire de Géorgie incarne les travailleurs de l’Est qui remplaçaient les hommes partis sur le front et qui étaient corvéables à merci.
On y apprend beaucoup d’événements peu connus, comme la liquidation des aliénés considérés comme des bouches inutiles à nourrir sous le régime nazi. Mais aussi la générosité, la solidarité à l’égard des nombreux réfugiés qui traversaient l’Allemagne après la guerre. Et aussi ce qu’il advint des soldats russes qui revenaient d’Allemagne. Les officiers n’avaient pas le droit de se rendre et s’ils ont été faits prisonniers, ils sont envoyés en camp à leur retour en URSS. C’est ce qui est arrivé à Grigori, originaire de Kharkov en Ukraine. En tant que prisonnier il est envoyé à Machandel comme ouvrier agricole. Il y rencontre Natalia, malgré l’interdiction de contacts entre prisonniers, il devient son amant et le père de Léna.
Jan, le frère de Clara, est photographe de presse et se trouve à Prague lors du printemps 1968. Ses photos le mettent en danger, il obtient le droit de quitter la RDA. Aucune de ses lettres ne parvient à sa famille ou à ses amis qui ne les retrouveront qu’après 1990, lorsque la Stasi, police politique est-allemande, remet à chaque citoyen le dossier de surveillance qu’elle détient.
Herbert, un ami proche de Jan, incarne l’opposition à la politique de la RDA. Il fonde le Mouvement pour la paix et les droits de l’homme ce qui provoque son arrestation et son expulsion en 1988. Quand il revient à Berlin après la chute du Mur, la ville lui est devenue étrangère. « Je voyais surgir du chaos quelque chose qui n’était pas ce dont nous avions rêvé. »
L’écriture de ce roman est poétique, la nature est très présente et les contes occupent une place centrale. La construction polyphonique est un peu troublante pour le lecteur. D’ailleurs une courte biographie des protagonistes est proposée en fin de volume mais elle n’est pas signalée et elle m’aurait été utile en cours de lecture.

Nadine Dutier 
(29/04/24)    


Harald JÄHNER

Le temps des loups

Ces périodes d’après-guerre et l’histoire de la RDA sont rarement évoquées en France. J’ai lu en parallèle du Chant du genévrier, l’histoire des dix années 1945-1955 en Allemagne, Le temps des loups, écrite par un journaliste, Harald Jähner.
« Après la fin de la guerre, plus de la moitié des personnes vivant en Allemagne ne se trouvaient pas là où elles auraient dû ou voulu être ; parmi elles, 9 millions de bombardés évacués, 14 millions de réfugiés et d’expulsés des territoires de l’Est, 10 millions de travailleurs forcés et de détenus libérés, et plusieurs autres millions de prisonniers de guerre qui rentraient peu à peu chez eux. »
Il fallait loger des millions de gens dans des villes détruites à 25%. Les habitants s’installèrent dans les ruines et commencèrent à déblayer les gravats… Les armées d’occupation étaient totalement dépassées. Pour obliger les anciens nazis à prendre part à ces travaux, ils étaient convoqués nominalement et s’ils ne se présentaient pas, on les menaçait : « des détenus politiques libérés y veilleront ».
Les millions d’expulsés des territoires devaient être logés souvent à la campagne, chez des paysans réticents. Les soldats devaient les menacer de confisquer leur maison s’ils n’accordaient pas un hébergement digne aux réfugiés. Les tensions entre locaux et réfugiés étaient telles que les Alliés craignaient des violences, voire une guerre civile. Les locaux traitaient les expulsés de « bande de Tziganes » ou de « Polaks ».
Dans certaines régions la proportion d’expulsés dans la population locale était de 20 ou 30 % mais elle s’élevait à 45 % dans la province du Mecklembourg où le village de Machandel est situé par l’autrice du Chant du genévrier.
Les années d’après-guerre furent terribles, famine, familles éparpillées. Cela a conduit nombre d’Allemands à se considérer comme victimes. Il n’y avait alors plus de place pour prendre conscience des crimes commis. « L’instinct de survie élimine les sentiments de culpabilité ». « Le refoulement et l’altération des faits constitue une énigme que cet ouvrage tente d’éclairer en étudiant les défis extrêmes des années d’après-guerre. »

Nadine Dutier 
(29/04/24)    



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Lectures







Regina SCHEER, Le chant du genévrier
Actes Sud

(Février 2024)
400 pages - 23,90 €

Version numérique
17,99 €

Traduit de l'allemand par
Juliette Aubert-Affjolder









Regina Scheer
est née à Berlin en 1950.
Le chant du genévrier
est son premier roman.
































Harald JÄHNER, Le temps des loups
Actes Sud

(Janvier 2024)
368 pages - 24,80 €

Version numérique
18,99 €

Avec 50 photos
en noir & blanc


Traduit de l'allemand par
Olivier Mannoni