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Anne-Marie BOISSON, TGV suspense | Retour à la liste des textes inédits Télécharger le texte en pdf |
Le TGV file, rythme glissé, le voyage a commencé. Un homme, les cheveux gris d'une cinquantaine assurée, semble viser le siège à ma gauche, lorsqu'il entreprend un pas de deux très enlevé, avec une valise informe. Il veut sans doute la lancer au-dessus de nos têtes... La vitesse quelque peu incertaine des sorties de gare ne le décourageant pas, une dernière arabesque, et les voilà enfin, posés, sa drôle de valise, sur la hauteur, et lui, tout contre mon accoudoir... A cemoment-là, il peut oser la question qui devait le préoccuper, allais-je bien à Paris ? "... Elle est morte. Quelqu'un l'a tuée... on l'a assassinée !" Mais voilà qu'une ombre se profile au-dessus de ma protection livre-lunettes. Une dame ronde et distinguée, au chignon soyeux, se pose élégamment sur le siège face à moi, avec un discret signe de tête destiné, semble-t-il, au sourire-accueil de mon voisin gris. (Je ne l'ai pas vu, le signe, mais l'ai deviné). "... de l'autre côté du square, le commissaire Adam Dagliesh du Service des Enquêtes Criminelles assistait..." Je suis complètement entrée dans le suspense garanti ; toujours en référence à mon expérience, j'avais prévu un roman de P.D. James justement pour la garantie, lorsqu'une autre dame, la soixantaine débutante, fait brusquement irruption ! Essoufflée, épuisée... mais sauvée ! elle a enfin trouvé "sa" place... et le bon wagon. Quant à moi, je recommence à avoir peur, et mon dernier sursaut d'optimisme vacille. Mais heureusement peu chargée, cette personne s'assied en face du monsieur toujours gris, à côté de la lectrice de "Libération", qui ne semble pas le moins du monde dérangée. Je me raccroche à P.D. James et à son commissaire. "... il parlait sans chaleur, presque sans émotion. C'était..." Mon inquiétude s'amplifie : j'ai beau faire, je ne peux m'empêcher d'entendre les propos acides de la nouvelle venue commentant son parcours du combattant pour arriver à cette fameuse place n° 22. Veuve certainement, cette personne, ayant travaillé, sans doute, comme feu son époux dans « l'Administration », avec retraite active et bien ordonnée comme sa coiffure ; frisettes sur le dessus de la tête, nuque courte et mode. Le tailleur est strict, comme il se doit, pour la circonstance, cependant les couleurs du foulard dénoncent le mauvais goût affirmé. "... celui-ci était enfoncé jusqu'à la garde. Les tissus étaient à peine meurtris, et il n'y avait pas de sang..." Vais-je tenir le coup ? Tout en lisant, je prie les dieux du voyage de faire en sorte que mon voisin gris ne se sente pas invité à donner le contre-chant masculin à ce duo si bien accordé... "... c'était quelqu'un qu'elle n'avait aucune raison de craindre, commissaire. Cela ne coïncide pas avec la..." Dissonance !... Les voilà à présent en désaccord sur les transports aériens. On frise le conflit... mais rapidement, les enfants, mariés ou pas et leurs métiers, vont devenir le sujet de remplacement, ô combien passionnant, qui va redonner l'harmonie au trio. (Le gendre de la dame ronde est bien dans le commerce de tableaux, sa petite-fille fait du théâtre, le monsieur gris a un cousin dans la photo, et son fils est encadreur... Quant à la dame frisée, elle est, bien sûr, retraitée de « l'Administration » !!...) Le TGV file, je n'ai plus qu'à lire le paysage... © Encres Vagabondes & Anne-Marie Boisson |