La chèvre
ou
Qui est Sylvia ?


d'Edward Albee

Albee or not Albee, that's the question...


La majorité des français ne va pas au théâtre. Et dans la minorité restante, un grand nombre de spectateurs préfère aller voir des pièces pas trop dérangeantes pour l'ego, truffées de gags et se terminant en happy end rassurants. Cependant, il faut reconnaître que certaines de ces comédies dites "de boulevard" peuvent également être la convergence heureuse d'une distraction nécessaire et d'excellentes prestations. Il faut le souligner sous peine de condamner sans raison un théâtre de divertissement réjouissant.

Très heureusement pour les amateurs d'autres types de dramaturgies, des auteurs anticonformistes et des salles de spectacle complices pratiquent de leur côté la décapante dérision, dérangent le consensus mou ou coincent le spectateur dans ses contradictions. Dans cet esprit, le théâtre de la Madeleine a choisi en ce début de saison La chèvre ou Qui est Sylvia ? du new-yorkais Edward Albee auquel nous devons déjà Qui a peur de Virginia Woolf ?.

Située dans un décor très élégant et vraisemblable, cette pièce, dans laquelle Martin Gray, un américain quasiment exemplaire, tombe soudain amoureux d'une chèvre, interroge. Ce n'est pas une pure provocation du dynamiteur professionnel qu'est l'auteur de la pièce : c'est plutôt l'expression sincère d'un homme surpris par son désir qui va décloisonner vingt siècles de convictions judéo-chrétiennes et pas mal de nos certitudes occidentales en moins de deux heures. C'est en quelque sorte l'aveu dérangeant de ce qui surgit parfois en l'homo sapiens de pulsions animales, d'étonnants phantasmes et des pensées qualifiées de perverses par un entourage pratiquant l'hypocrisie de convention.

Dans le présent montage, Edward Albee a trouvé avec André Dussollier le comédien idéal capable d'exprimer les états d'âme de cet amoureux transi, de manière aussi pathétique que son amour de la chèvre Sylvia est porteur de défis aux mœurs traditionnelles, aux us et coutumes, aux religions castratrices, voire aux équilibres de la famille et de la société.

Reste que Ross, son ami d'enfance, met suffisamment d'huile sur le feu pour déclencher un maelström familial majeur, que sa femme Stevie, interprétée par Nicole Garcia, va réagir sans nuance mais, surtout, que son étudiant de fils s'est révélé homosexuel. Et ce dernier point n'est pas évident à digérer, y compris pour un homme pratiquant une zoophilie imprévisible.

Alors se profilent deux questions. En dehors des voies tracées par des structures sociales bien rodées ou par des familles de pensée plutôt rigides, y a-t-il un cheminement possible pour ces marginaux ? Et si oui, y a-t-il une capacité réelle de l'environnement contemporain à les accepter ? L'épouse délaissée pour la chèvre répond non avec une violence assez spectaculaire et Martin Gray nous apparaît touché au plus profond. Mobilisé par l'improbable situation de ce couple, vous mesurerez peut-être à ce moment-là votre capacité à tolérer les différences.

Certains spectateurs, frustrés d'une mise en scène plutôt réductrice, ne reçoivent pas clairement le message. Mais ceux que l'opportunité d'amours caprins n'a pas perturbés dans leur digestion repartent heureux d'une démonstration aussi sophistiquée que percutante. Mon voisin de fauteuil évoque malicieusement Brassens : "La bandaison papa, ça ne se commande pas."

Diaboliquement vôtre, l'humour en plus : Voilà comment Edward Albee l'auteur efficace et André Dussollier le talentueux pudique ont raflé la mise de La chèvre ou Qui est Sylvia ?

Claude Chanaud 



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Montreurs d'ours






La chèvre
ou
Qui est Sylvia ?



Théâtre de La Madeleine

jusqu'au
19 janvier 2006

19, rue de Surène
75008 Paris

Location :
01 42 65 07 09