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Désolé pour
la moquette...


de Bertrand Blier




Bertrand Blier, l’auteur de cette hénaurme charge, est un homme sensible doublé d’un humaniste qui piège la connerie ambiante à la manière du regretté Jean Yanne. C’est-à-dire avec une férocité dont l’humour transcende les consensus mous et les nombreuses cibles. Et le même Bertrand Blier, metteur en scène de son propre texte, lui donne une vie sur scène avec une pudeur soigneusement camouflée. Du moins, au premier degré.

Les amateurs avaient déjà découvert cet auteur fort doué pour la provoc salutaire avec des créations devenues mythiques, comme Les valseuses. Aussi tendres que caustiques, ses films révélaient au grand public de sympathiques spécificités anarchisantes qu’il confirma sur la scène du Théâtre Saint-Martin avec Les côtelettes.

Dans Désolé pour la moquette, au Théâtre Antoine, il persiste et signe. Non seulement il communique son bonheur d’expression à ses nombreux aficionados mais également à une couche de gens exigeants : ce sont généralement des spectateurs qui, au-delà des conventions figées de certains théâtres traditionnels, apprécient les cheminements nouveaux qu’un trop petit nombre de dramaturges prend en compte, pratique ou revendique.

S’il ne s’agissait que de truffer les dialogues de mots considérés comme grossiers par des gens de tradition frileuse ou de créer des situations provocatrices pour réellement innover, beaucoup d’autres auteurs l’auraient sans doute accompagné voire précédé dans cette voie. Mais avec cette pièce volontairement iconoclaste, nous assistons à une réussite sans comparaison grâce à une très heureuse conjonction.

D’abord l’innovante idée de base, où une étrange loi intervient : elle oblige les citoyens vivant dans l’aisance à financer une moquette urbaine, prolongement de la leur, où iront se vautrer des clochards parlant le Michel Audiard, son parrain par le verbe, ou le Bernard Blier, son paternel non austère. Dans cette hypothèse de poète, la législation actuelle aurait évidemment beaucoup changé.

Pourtant la bourgeoise de service, avant de s’allonger à son tour à côté des clochards, reconnaît devant un vérificateur médusé : Elle est complètement con cette loi. C’est pas de la moquette qu’il faut leur donner, c’est des maisons !

Ensuite, cinq comédiens percutent. Indéniablement habités par la pensée de l’auteur, ils défendent son texte avec un grand bonheur de connivence quitte à étonner quelques nostalgiques d’un langage timoré. Et si Myriam Boyer s’y coule comme dans un épisode classique de sa carrière très engagée, Anny Duperey y fait un choix théâtral inhabituel en se glissant dans un rôle de nantie évoluant très vite vers celui d’une miséreuse au cul verdâtre. Et c’est un essai transformé.

Enfin, l’anonyme métropole environnante, témoin égoïste et muet devant lequel se passent ces étonnantes péripéties, est à la fois lointaine et présente Les paumés n’y possèdent évidemment qu’un droit de forniquer inconfortablement ou de vomir un vilain picrate sur le sol moquetté. Le décorateur Patrick Dutertre a su traduire avec efficacité cette distanciation des différentes strates sociales avant d’évoquer pour l’acte final l’horizon d’une architecture dénudée jusqu’à l’os et débarrassée de ses marbres ostentatoires.

Et si, comme le disent les gazettes, Bertrand Blier recherche essentiellement la chaleur humaine, il a gagné. Les nombreux rappels le prouvent. Sans ambiguïté.

Claude Chanaud 
(18/09/10)    



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Montreurs d'ours











THEATRE ANTOINE


14, bd de Strasbourg
75010 PARIS

Location :
01 42 08 77 71



Mise en scène
Bertrand Blier
assisté par
Marie Sauvaneix

Avec :
Myriam Boyer
Anny Duperey
Patrick Préjean
Abbès Zahmani
Jean Barney


Décors
Patrick DUTERTRE

Costumes
Christian GASC

Lumière
Marie-Christine SOMA

Son
Sébastien DELRUE





Actes Sud-Papiers

56 pages - 10 €