Conversations après un enterrement

de Yasmina Reza


"On ne lâche aucun mot qui ne parle du cœur"
Molière Le Misanthrope 1, 1.


Je n'avais pas vu Conversations après un enterrement lors de sa création. Et, à la pensée que cette pièce magistrale fut la première d'un auteur de vingt-cinq ans à peine, ma sincère admiration pour l'œuvre théâtrale de Yasmina Reza s'est renforcée d'un enthousiasme rétroactif.

Résumé succinct : un père de famille est mort. On ne l'enterre pas dans un caveau convenu au cimetière le plus proche, mais dans le parc de la maison. Quant au reste, rapportez-vous aux émotions, aux révélations et aux "non dits" qui suivent la disparition d'un papa ayant marqué son territoire avant de disparaître. Avec son mystère. Chacun d'entre nous reconnaîtra quelqu'un des siens.

Voilà campé le cadre des conflits latents. Et, derrière la question sans importance : "est-ce que papa se tapait vraiment cette pédicure plus jeune que lui ?" nous allons voir se profiler les problèmes de chacun des enfants, lesquels ont hérité des maux coutumiers aux humains, bien avant de devenir propriétaires de cette maison de famille où chacun cache ses bleus à l'âme et où les gouttières sont fatiguées.

Evidemment ces enfants-là ne souffrent plus de la varicelle. Ce sont des problèmes d'adultes qui ont dicté leur récurrente conduite et généré des blessures non cicatrisées. Et tout cela qui sommeillait dans leur intime se réveille impérieusement au moment où le papa s'éteint. Il faut dire que l'arrivée imprévue de l'ancienne épouse d'Alex ajoute à la tension générale ; que Nathan, frère du précédent, en profite pour jeter le masque des convenances ; et que leur sœur Edith va tout leur dire de son mystère, à la façon de l'épluchage de l'oignon. Vérité après vérité.

Sous le regard catalyseur de Pierre et Julienne – succulents Bernard Verley et Josiane Stoleru – les complexes relations de ces trois grands enfants apparaissent donc dans leur mécanisme originel. Petit à petit. Et sous la conduite de Gabriel Garran, ils vont nous subjuguer. Aussi subtilement que c'est écrit.

L'art de Yasmina Reza est effectivement de faire progresser les suspenses par petites touches en évitant les ficelles traditionnelles de ce genre de fictions et les bavardages inutiles. Nous assistons donc à une dramaturgie finement ourlée par une surdouée d'un génial théâtre contemporain, n'ayant pas attendu la maturité d'une professionnelle ni l'expérience d'une vie, pour nous convaincre, nous faire aussi rire et nous émouvoir au plus profond.

C'est ainsi que nous arrivons sans artifice à une libération des problèmes contenus dont les trois en question éprouvent impérieusement le besoin. La catharsis va jouer au sens le plus large puisqu'elle prélude un accord de fond. J'allais dire VITAL. Et, après le déballage difficile, nous partageons leur bonheur d'avoir tout dit. Egalement celui d'avoir tout entendu.

C'est beau comme du Tchékhov a dit un critique. D'une comédie aussi haut de gamme dans l'exposé des cicatrices humaines qu'élégante et concise dans la manière, on pourra dire dorénavant : c'est beau comme du Yasmina Reza.

Claude Chanaud 



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Montreurs d'ours






THEATRE ANTOINE

14, bd de Strasbourg
75010 PARIS

Location :
01 42 08 77 71



Mise en scène
Gabriel GARRAN


avec
Margot ABASCAL
Jean-Michel DUPUIS
Serge HAZANAVICIUS
Mireille PERRIER
Josiane STOLERU
Pierre VERLEY



Vous pouvez aussi visiter
le site du théâtre :
www.theatre-antoine.com





D'abord publiée
chez Actes Sud,
cette pièce a été reprise
en Livre de Poche
avec trois autres textes
dont Art

Yasmina Reza