Moins 2

de Samuel Benchetrit





Sur la scène du théâtre Hébertot, Jean-Louis Trintignant et Roger Dumas, commencent à jouer Moins deux allongés sur des lits d'hôpital et reliés à des goutte-à-goutte. Ils subissent l'un et l'autre un cancer sans perspective réconfortante ni possibilité de guérison et ils le savent car leur médecin n'a pas pratiqué la langue de bois.

Alors, ils vont fuir l'endroit – toujours en pyjama – pour que le meilleur d'un présent un peu fou leur fasse oublier la sinistrose à venir. Truffée de cet humour mystérieux qui peut accompagner les futurs inachevés, cette dernière sortie va nous émouvoir profondément et nous tenir en haleine. Elle préfigure peut-être notre propre destin.

Valérie Crouzet et Manuel Durand donnent la réplique aux deux fugueurs avec beaucoup de justesse. Et ces quatre comédiens participent au succès d'une pièce hors du commun ouvrant, en ce début de saison théâtrale, le score des soirées réussies.

Mais pour commencer, l'hommage va à l'auteur qui signe à la fois la pièce et la mise en scène. Il est bien vu par Samuel Benchetrit ce moment où les deux septuagénaires condamnés par la faculté agrémentent leurs derniers jours d'une escapade de collégien. L'exercice qui se veut d'abord introspection sans indulgence et regard lucide sur la vie amène nos deux compères à baisser le masque des conventions et du bluff avant de vivre leur ultime carpe diem. Ce faisant, ils laissent se révéler des vérités peu gratifiantes.

En effet, leur vie passée n'a rien du long fleuve tranquille. Paul Blanchot, joué par Jean-Louis Trintignant, n'a jamais connu son rejeton car la fille qu'il avait engrossée a fui avant l'accouchement et gardé l'enfant pour elle toute seule alors que Jules Tourtin, interprété par Roger Dumas, connaît évidemment les deux siens. Mais voilà, on va apprendre que la famille Tourtin ne vient pas le voir à l'hôpital car, explique-t-il, très sérieusement… en ce moment c'est le Tour de France et les horaires de visites sont les mêmes que les horaires de diffusion télévisuelle de l'arrivée des coureurs "alors évidemment, s'ils viennent, ils ratent une étape"

Il est également bien vu ce moment où la lucidité des deux vieux lapins s'exerce à leur détriment. Et puis au hasard de ce cheminement rythmé par leurs aveux mutuels, ils vont rencontrer d'autres êtres et vous découvrirez avec eux la petite musique des paumés et des cabossés de la vie : la femme enceinte jusqu'aux yeux que son amant vient d'abandonner, le garçon désespéré qui se jette à l'eau, et la danseuse d'un petit bal perdu prêtant une oreille compatissante aux deux compères.

Puis, par la grâce du Deus ex machina , ils vont retrouver l'enfant que Paul n'a jamais connu. C'est une fille, Lou. Nos deux héros vont la rencontrer sur une improbable scène où elle joue du Tchekhov et ça n'est sans doute pas un hasard si le père frustré retrouve sa fille dans cette dramaturgie désespérée, là où les élans des hommes sont impuissants à corriger les vilaines trajectoires. Lou interprète la Sonia qui dialogue avec Oncle Vania. A la fois héroïne de Tchekhov et fille d'un Paul inattendu, l'actrice est évidemment troublée par cette conjoncture.

Cependant, pour notre bonheur de spectateur, elle va bien réagir car, utilisant opportunément la chute réelle d'Oncle Vania, elle va terminer les deux pièces en même temps. Et quand elle lance la dernière réplique, on sent combien elle s'adresse également à ce héros, oh ! combien tchékhovien, qu'est Paul, le papa retrouvé : nous verrons tout le mal terrestre, toutes nos souffrances noyées dans la miséricorde qui va emplir l'univers tout entier et la vie deviendra douce, tendre, bonne, comme une caresse. tu n'as pas connu de joie dans ta vie mais patiente un peu, patiente… nous nous reposerons.

La cavale se termine sur ce saisissant clin d'œil de Samuel Benchetrit mais, le rideau de scène tombé, les rappels sont nombreux. Et l'émotion perdure.

Claude Chanaud 



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Montreurs d'ours






Moins deux
Théâtre Hébertot

jusqu'au
31 décembre 2005

78bis bd des Batignolles
75017 Paris

Location :
01 43 87 23 23








Le texte est publié
aux éditions
L'avant-scène théâtre

12 €