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Le souper


de
Jean-Claude BRISVILLE




Quel souper !
En cette nuit du 7 juillet 1815, deux valets dressent, sous les hauts treillages de l’hôtel particulier de Talleyrand, une table ovale jouxtée de dessertes. Y patientent, sous cloches, des plats raffinés.
Talleyrand a invité à souper rue de Rivoli son vieil ennemi Fouché duc d’Otrante, président du gouvernement provisoire de la France. Bras dessus bras dessous, les deux hommes entrent sur scène, Fouché soutenant Talleyrand handicapé par son pied-bot. En sourdine, un orchestre distille une valse, cette nouvelle danse à la mode viennoise.

Napoléon est parti en exil, Wellington chef des coalisés est à Paris, et il faut trouver une nouvelle constitution à la France.
Le temps presse.
Fouché serait partisan d’un retour aux Jacobins et à la République ; Talleyrand,  « même s’il manque un numéro aux Louis », pencherait  plutôt pour une monarchie parlementaire en haut de laquelle, il placerait ce brave ventripotent Louis XVIII car, « qu’est-ce qu’on a d’autre ? »
Il faut trancher, et vite.

S’ils ont besoin l’un de l’autre, les deux hommes se détestent et le souper s’enveloppe très vite d’un parfum de cynisme où, entre deux coupes de champagne,  fusent les flèches verbales.
Quel art de se brocarder ! Politiciens de génie, formatés à l’école de la Révolution Française ou autre coulisse napoléonienne, on assiste à une démonstration de toutes les gammes de la ruse : perfidie, malice, artifice ou simulation. Et si, entre deux flèches, ils sont prompts à l’ironie, cela n’empêche nullement Fouché de balancer un magistral coup de pied dans la béquille de Talleyrand qui s’affale au sol de tout son long.
Mais peu importe. Le génial homme d’Etat se relève, comme si de rien n’était.

Il y a cette belle scène du cognac de l’après souper où, malgré les cuirasses, filtrent quelques douleurs mal cicatrisées de l’enfance. Confidence ? Ruse ? En tout cas poignant et inattendu sentimentalisme de la part de ces deux hommes. L’espace d’une courte échappée régressive, le petit Charles-Maurice, dont la maman était à son égard on ne peut plus humiliante, s’immisce dans la tête du magistral Talleyrand. De même, le petit Joseph s’épanche avec émotion à propos de son irascible loup des mers de père.

Le théâtre de la Madeleine n’en est pas à son premier coup de maître en matière  de confrontation d’hommes. Sur ce même plateau, était jouée il y a deux ans Collaboration, de Ronald Harwood, chroniquée en ces mêmes pages d’Encres Vagabondes par Claude Chanaud.

C’est une forte pièce qu’à écrite Jean-Claude Brisville avec une belle orchestration de la mise en scène de Daniel Benoin sur l’ivresse du pouvoir et sa jouissance impartageable
Patrick Chesnais en Fouché et Niels Arestrup en Talleyrand sont magistraux. Tout au long du spectacle, ils enchantent et effraient en nous ouvrant les mécanismes des manigances politiciennes, pour le bien du peuple, cela va de soi, protagoniste non invité au souper, qui fulmine et gronde sous les  fenêtres de Talleyrand, brise ses vitres à coups de pierres.
Voilà deux géants magnifiques d’humanité. Ils nous font passer une soirée d’exception.
Les ovations du public sont au rendez-vous.
Rien que du bonheur !

Patrick Ottaviani 
(10/04/15)    



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Une loge
pour le strapontin











Théâtre de la Madeleine

19, rue de Surène
75008 PARIS

Location :
01 42 65 07 09




Mise en scène
Daniel Benoin

Assistante à
la mise en scène
Linda Blanchet

Avec
Niels Arestrup
Patrick Chesnais
Paul Charieras
Benjamin Migneco

Scénographie 
Jean-Pierre Laporte

Lumières 
Daniel Benoin

Costumes 
Nathalie Bérard-Benoin

Vidéo 
Paulo Correia