Pascal Garnier
Né en 1949, nouvelliste et romancier, Pascal Garnier a construit une œuvre partagée entre la littérature sombre (aux marges du roman noir) et la littérature pour la jeunesse.
Il a publié une cinquantaine de livres.
Il est décédé le 5 mars 2010.
Propos recueillis par Serge Cabrol
Au commencement était le voyage…
J’ai arrêté mes études très tôt pour voyager,
seul. A quinze ans et demi, je me suis retrouvé à Istanbul. Pendant
une dizaine d’années, en stop et par tous les moyens de transport
les moins chers, j’ai parcouru l’Afrique du Nord, le Moyen Orient,
l'Asie…
J’avais envie d’exprimer les choses que je voyais, envie aussi de
jouer avec les mots mais j’étais nul en orthographe. La chanson
m’a paru un bon support parce qu’elle ne dure que trois minutes et
fonctionne sur le mode de la langue orale. Après ma période voyages,
je suis entré dans une période rock n’roll français
et je tournais avec des gens qui débutaient et qui plus tard sont devenus
célèbres.
De la chanson à la nouvelle.
Le mot appelle le mot, et après les chansons, j’ai eu envie de
développer. Tout seul dans mon coin, sans montrer à personne,
j’ai commencé à écrire ce qu’on peut appeler
des nouvelles. Tous ces textes étaient écrits au présent
pour ne pas avoir de problème avec la conjugaison. Je n’avais
pas beaucoup de vocabulaire, j’étais dans la situation d’un
des bouquins qui m’avaient marqué dans l’enfance, Robinson
Crusoé. On se fait un monde de tout mais là il faut se faire
un monde avec rien. Ce style qu’on m’accorde aujourd’hui,
avec la concision et le goût des formules, je ne l’ai pas choisi.
Et on en revient à cette définition de la poésie : ce
sont deux mots qui se rencontrent pour la première fois. J’aime
le choc de deux mots qui créent une image, un sentiment, une sensation
physique…
Les premières publications
J’ai laissé traîner des textes, pas tout à fait par
hasard, sous le regard d’un libraire du XIVe arrondissement, Gilles Vaugeas
(L'Entreligne), qui voulait éditer ce qu’il appelait des « 45
tours littéraires », c’est-à-dire de petits bouquins
sur un très beau papier à cinq cents exemplaires avec deux nouvelles
et trois illustrations.
Paul Ostrachovsky-Laurens, qui était installé juste à côté,
a lu ces nouvelles et les a aimées. Alors comme j’avais déjà écrit
une douzaine de textes, c’est devenu L’année sabbatique en 1989 aux éditions POL.
Ensuite, il y a eu un deuxième livre chez POL, Surclassement, un recueil
de trois longues nouvelles. J’avais proposé un roman, Le pain
de la veille, mais POL pensait que je n’étais pas fait pour le
roman, que je devais continuer à écrire des nouvelles. Je n'étais
pas d'accord. Ça a été un moment très pénible
parce que j’avais cru entrer dans la littérature par la grande
porte, sortant de mon trou, et je me retrouvais le bec dans l’eau. L’Entreligne
a publié Le pain de la veille. Il était plein de maladresses,
mais c’était déjà l’esprit de mes romans noirs.
Et comme j’étais passé de la chanson à la nouvelle,
là, je passais de la nouvelle au roman. Techniquement, c’est très
différent.
La littérature jeunesse
A la même époque, je ne pensais pas écrire pour la jeunesse
mais on m’a dit qu’un éditeur cherchait des textes. Je revenais
de Venise, j’avais envie de raconter une histoire, je me suis pris au
jeu. J’ai envoyé mon texte à Bayard mais ils l’ont
trouvé trop dur, il fallait changer pas mal de choses. Je n’en
avais pas envie et je leur ai demandé de m’indiquer où je
pouvais l’envoyer, ils m’ont dit d’essayer chez Nathan, et
neuf mois plus tard j’ai reçu une réponse positive. « Un
chat comme moi » a tout de suite obtenu un prix. Et depuis, selon mes états
d’âme, je continue toujours à écrire pour les adultes
et pour la jeunesse. J’y prends beaucoup de plaisir. C’est une
bonne école pour apprendre à faire concis, parler simple, actions,
phrases courtes…
J’ai eu beaucoup de commandes. Et des lecteurs de mes livres jeunesse
m’ont suivi et sont aujourd’hui lecteurs de mes romans sombres.
Sur les festivals ou les salons du livre, je rencontre des gens qui connaissent
tous mes bouquins !
La durée de vie des livres jeunesse est plus longue. Il y a des livres
que j’ai écrits il y a près de 20 ans qui sont toujours
dans les bibliothèques et les collèges. C’est traduit en
une dizaine de langues.
J’écris tous mes livres avec la même sincérité.
Que les lecteurs aient 8 ou 78 ans, on leur doit le même respect. Parfois,
j’ai plus de problèmes sur un petit bouquin jeunesse que sur un
roman. Et puis ça oblige à dégraisser, les jeunes sont
des lecteurs impitoyables. Si le texte les ennuie au bout d’une page,
ils arrêtent. C’est un excellent exercice de style, assez proche
de la nouvelle.
Et maintenant, Le chemin de sable, une série
de cinq livres parue chez Pocket Jeunesse.
Je traînais cette idée depuis dix ans et je suis heureux de la
voir se réaliser.
C’est le voyage initiatique d’un jeune garçon qui longe
la mer de Dunkerque à St-Jean-de-Luz pour retrouver une fille rencontrée
sur la plage.
Après la découverte de la mer dans le premier livre, (mais aussi
la rencontre avec Véronique et un oncle squatteur-sculpteur), il entre
dans la lecture (grâce à une autre jeune fille rencontrée
en Normandie) puis dans l’écriture (le troisième volume
se déroule en Bretagne, dans l’île de Batz dont Vincent
rencontre la bibliothécaire). Le quatrième voit Vincent passer
par Bordeaux et le cinquième, c’est l’arrivée à St-Jean-de-Luz.
Romans noirs, romans sombres…
De 89 à 96, je publiais des nouvelles mais j’avais des envies
de romans. C’est une période difficile dont je me suis sorti grâce à l’humour,
en écrivant La solution esquimau, le premier de mes romans
noirs.Une personne que j’avais connue chez Syros, en littérature
jeunesse, travaillait au service de presse du Fleuve Noir. J’avais confiance
en son avis, je lui ai envoyé mon manuscrit. Elle l’a aimé et
l’a transmis à Christian Garaud qui m'a appelé tout de
suite. Nous nous sommes rencontrés pour déjeuner, nous avons
beaucoup parlé, beaucoup bu, beaucoup compris… et signé un
contrat. Il a publié quatre de mes romans. Puis il a dû, hélas
!, quitter le Fleuve Noir.
Heureusement, j’ai croisé Laure Leroy à Saint-Nazaire et
elle m’a demandé un roman pour Zulma. J’ai écrit
L’A 26 puis Nul n’est à l’abri
du succès.
A la même époque, j'ai rencontré Laurence Decreaux qui
travaillait pour Flammarion. J’ai écrit Chambre 12, paru en collection
blanche.
Nul n’est à l’abri du succès et Chambre
12 sont sortis
simultanément, l'un en noire, l'autre en blanche, et tous deux ont obtenu
un prix. Ainsi prenait fin l'apartheid entre la noire et la blanche. On change
d'éditeur mais pas de style.
Vos personnages, y compris en littérature jeunesse, sont durement confrontés
aux difficultés de la vie.
Pour moi, c’est le principe même de l’écriture ou
de la création. Qui est-ce qui s’évade ? Que des gens incarcérés.
C’est l’incarcération qui pousse à aller au-delà des
murs. Que faire d’un personnage beau, riche, en bonne santé, jeune
et amoureux ? Si tout se passe bien pour lui, je n’écris pas cinq
pages ! C’est le croche-pied de la vie qui fait basculer un destin. Cinq
minutes avant de planter un couteau dans le dos de sa victime le criminel est
encore un innocent. C’est cette bascule qui m’intéresse.
Votre écriture s’approche parfois du
fantastique.
J'ai toujours aimé les frontières, entre les pays comme dans
l'écriture. Je suis un frontalier. Les frontières sont des endroits
surréalistes qui n'ont pas de raison d'exister. Sur une carte elles
sont matérialisées mais sur terre c’est complètement
aléatoire. Cette lisière est intéressante parce que c'est
l'endroit où les gens n'ont plus de bagages. Il n'y a pas de précision,
pas de chose définie. Et je crois que dans le monde rien n’est
défini, même pas la mort. Tout est aléatoire. Les gens
cherchent à se rassurer, à confirmer leurs thèses, mais
on est toujours sur un terrain mouvant.
Avec une quarantaine de livres, vous avez acquis un savoir-faire ?
Je n'espère pas. Plus j'écris, moins je suis satisfait, plus
j'ai peur, rien n’est acquis. À chaque fois il faut remonter la
barre, pour ne pas refaire la même chose. Il ne faut pas se moquer des
lecteurs ! Pour moi, c'est un travail qui me coûte de plus en plus, qui
est de plus en plus pénible.
Par contre, je commence à comprendre comment fonctionne la mécanique
du roman. La nouvelle, c’est comme un vol à la tire dans le métro,
il faut être rapide, habile. Un roman, c'est un casse de banque, ça
se prépare à l'avance, ça prend un an. L’important,
c'est de se mettre en état d’écriture. Après, taper
sur la machine ce n'est rien.
Je commence toujours par lancer vingt pages à la main sur un cahier,
sans m'occuper si c'est bien écrit ou pas, et je ne passe à la
machine qu’après. Je me lance à partir du moment où j'ai
quelques éléments, des pièces d'un puzzle. Un lieu, des
personnages, une situation... A priori il n'y a pas de rapport entre eux, mais
je subodore que là, il y a moyen de faire quelque chose. Ça doit
s'emboîter d'une manière ou d'une autre. Alors je cherche. Je
balance, je reprends... Une fois que j'ai vingt pages, je commence à les
taper. Et je m'occupe un peu plus de la phrase. À partir de ce moment-là, ça
tient du vaudou, on n'évoque pas des personnages on les invoque. Tu
bats le tam-tam pendant ces quelques pages et le « baron samedi » arrive.
Il faut que le personnage t’habite vraiment, ensuite il n'y a rien d'autre à faire
que le suivre.
Un bon auteur, c'est un auteur qui ne se voit pas. Ce sont les personnages
qui comptent. Que les gens se souviennent des personnages, d'une histoire,
et pas du nom de l'auteur, c’est très bien. J'écris comme
je regarde un feuilleton à la télé, en me demandant ce
qui se passera demain. Le romancier est un marin à qui on dit « ton
bateau est là, il faut que tu l'emmènes là », et
entre les deux il n'y a rien, pas de balise Argos, rien. Quand je commence,
je ne sais pas du tout ce qui peut se passer à la fin. Si je le savais,
je ne l'écrirais pas. Je jette les dés sur la table. Tu gagnes
ou tu perds.
A travers des formes ou des genres différents,
on retrouve un solide fil conducteur durant tout votre parcours.
Le petit garçon qu’on a été est mort, il est devenu
adolescent, et puis l’adolescent est mort... Les jouets, les petits soldats
de l’enfance, d’un jour à l’autre, deviennent des
choses, des objets et on découvre d'autres plaisirs mais sans être
encore dedans, ce sont des périodes de grande magie. On abandonne des
trucs pour passer à d'autres, et c'est pareil quand on arrive vers la
cinquantaine. Mais il y a quelque chose dont il faut garder le fil parce que
c’est notre seul patrimoine. Il ne faut pas perdre notre rêve.
La vie adulte, ce sont les rêves de gosse qu’on met en pratique.
J’ai le sentiment d’avoir attrapé quelque chose quand j’étais
enfant, comme la queue du Mickey dans les manèges, et je me suis dit « ça,
je ne le quitterai jamais ». Quand tu l’as attrapée, tu
ne la lâches plus, tu la tiens jusqu’à ta mort, c’est
ta seule richesse.
Souvent, j'ai failli la mettre au clou cette petite ficelle mais je préfère
me la passer au cou, dans le pire des cas, bien sûr !
J’ai dû couper bien des ponts derrière moi. Mais toutes
ces cicatrices, il faut les porter comme des bijoux de famille. Les rides,
les cicatrices, c’est la vie, tu la prends à pleins bras et tu
en prends plein la gueule, mais c’est comme ça, il ne faut pas être
tiède. Et c'est un fameux trouillard qui affirme ça !