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Éditions Baker Street
Novembre 2013 - 312 pages - 18 €
Elisabeth
SANXAY HOLDING

(1889-1955)


Au pied du mur


Traduit de l’américain par G. Horst et J.-G. Marquet
(Traduction revue et mise à jour par Françoise Jaouen)





Un certain nombre de romans policiers américains publiés en France dans les années 50 avaient été quelque peu "allégés" pour des raisons d'efficacité et de calibrage. Ce fut le cas pour The blank wall paru aux Etats-Unis en 1947, adapté au cinéma par Max Ophüls (Les désemparés, 1949) et publié en France dans la Série Noire en 1953 sous le titre Au pied du mur, repris en 1966 avec le sous-titre Le diable ne fait pas crédit. Il a été adapté à nouveau au cinéma en 2001 avec Tilda Swinton (nominée à cette occasion pour le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film dramatique) sous le titre The deep end (en français, Bleu profond). Les éditions Baker Street nous en offrent aujourd'hui une version complétée par les passages manquants avec une traduction revue et mise à jour par Françoise Jaouen. Une excellente occasion de remettre ce chef d'œuvre en lumière.

Elisabeth Sanxay Holding, considérée par Chandler comme "le meilleur écrivain à suspense d'eux tous" sait en effet construire ses histoires pour tenir son lecteur en haleine. L'héroïne, ici, est une femme de la classe moyenne américaine, mariée, mère de famille, qui se trouve prise au piège par une bande de malfrats et va s'efforcer durant tout le roman d'affronter la situation toute seule pour protéger sa famille et la tenir en dehors de cette affaire crapuleuse. Elle est prête à tout (mensonges, rendez-vous clandestins, déplacement de cadavres) pour gagner du temps et repousser le problème sans être jamais sûre d'en venir vraiment à bout. Le résultat est un polar haletant où l'on se demande de page en page comment tout cela va finir…

Lucia Holley vit au bord d'un lac, près de New York avec son père, Mr Harper, et ses deux enfants : David, quinze ans, et Béatrice, dite Bee, dix-sept-ans. On est en pleine seconde guerre mondiale et Tom, son mari, est militaire quelque part dans le Pacifique. Elle lui écrit tous les soirs mais doit affronter seule les soucis du quotidien. Enfin pas tout à fait seule parce qu'elle peut compter sur l'aide précieuse de Sibyl, l'employée de maison, qui comprend tout à demi-mots et lui apporte un soutien sans faille.

L'histoire commence avec une liaison entre Bee et un certain Ted Darby, une amourette dont une cousine bien intentionnée a tout de suite informé Lucia. La mère est aussitôt partie rencontrer cet homme qui s'est avéré avoir trente-cinq ans et être déjà marié mais n'envisageait pas de cesser de voir la jeune fille. "Cette pauvre enfant me dit qu'elle mène une vie affreusement ennuyeuse. Elle aime voir du monde, rencontrer des gens intéressants et je suis heureux de la sortir. Elle sait que je suis en instance de divorce, et elle estime que ce n'est pas une raison suffisante pour refuser de me voir."
Quand Bee apprend la démarche de sa mère, elle est furieuse et trouve cette rencontre humiliante. Comme toute adolescente qui se respecte, elle veut vivre sa vie et, surtout pas une existence comme celle de sa mère."Tu penses tout savoir mais tu es terriblement vieux jeu. Tu es incapable de comprendre quelqu'un comme Ted."
Puisqu'elle n'a plus le droit d'aller à New York, elle a demandé à Ted de venir la voir près de son lac. Mais Lucia veille et interdit à sa fille de sortir. Bee remonte dans sa chambre furieuse.

Et dès le chapitre 2, le roman plonge dans le noir parce que plus personne ne reverra Ted Darby vivant…
Lucia commence à recevoir d'inquiétantes visites. Un homme très désagréable, Nagle, inquiet de ne pas voir réapparaître Darby qui lui avait dit où il se rendait… Puis un maître-chanteur qui vient réclamer cinq mille dollars pour un paquet de lettres de Bee à Darby, des lettres susceptibles de ruiner la réputation d'une jeune fille de bonne famille dans l'Amérique des années 40…

Lucia se sent seule et désarmée. "Si Tom était là, pensa-t-elle, il trouverait le moyen de se débarrasser de ce voyou. Si David était plus âgé… Ou si père était plus jeune… Mais il n'y a personne. Je dois me débrouiller seule. Et je ne fais pas les choses comme il faut."

Quelques jours plus tard, on découvre le cadavre de Darby dans une zone marécageuse et c'est maintenant un policier, l'inspecteur Lévy, qui vient rencontrer Lucia pour évoquer de troublants indices. Elle, qui n'a tué personne, sent l'étau se resserrer autour d'elle.

Tout ce qui compte pour elle est de gagner du temps, protéger sa famille, empêcher que son univers s'effondre. Elle fonctionne au jour le jour, rencontrant les malfaiteurs en cachette pour négocier des délais. Elle, qui n'a connu jusque-là qu'une paisible existence de femme au foyer, se transforme malgré elle en aventurière, de plus en plus décalée par rapport à l'image qu'en ont son père et ses enfants. Un décalage entre l'être et le paraître qui la surprend elle-même lorsqu'elle rentre à la maison. "Elle s'était imaginée défaite, couverte de poussière, le teint blafard, l'air étrange. Il n'en était rien. Sa coiffure était un peu en désordre ; de légères traces noires se voyaient sur ses joues. Mais dans l'ensemble, elle était très présentable : une bonne ménagère à l'allure un peu provinciale dans sa robe vichy."

Combien de temps pourra-t-elle tenir ainsi ? Comment toute cette histoire va-t-elle se terminer ? Suspense ! Elisabeth Sanxay Holding sait à merveille multiplier les événements et les rebondissements pour que le lecteur reste scotché à son livre, tournant fébrilement les pages pour suivre Lucia dans son errance, une femme traquée comme un lapin pris dans le faisceau des phares d'une voiture et dont on se demande s'il va être écrasé ou réussir à s'échapper… Un auteur à découvrir ou redécouvrir, en version intégrale cette fois-ci.

Serge Cabrol 
(21/11/13)    




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Pour mémoire





Elisabeth
Sanxay Holding

(1889-1955)
a publié 22 romans et
de nombreuses nouvelles.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia
















Les désemparés
Max Ophüls, 1949





The deep end, 2001
avec Tilda Swinton