Leon Garfield 

(1921-1996)


par Patricia Châtel


– Aimes-tu les histoires, Petit Crampon ?
– Ch’ais pas, mister. J’en ai jamais entendu.
– Comme c’est triste ! Les histoires, mon enfant, sont comme des chandelles qui nous éclairent l’esprit. Elles nous réchauffent et nous offrent des prodiges…des prodiges.

(La Rose de Décembre)

Vous trouverez à coup sûr des textes de Leon Garfield sur les rayons des bibliothèques municipales et des C.D.I. ou en feuilletant le manuel de français d'un collégien. En revanche, votre libraire ne vous proposera plus que quatre ou cinq romans sur les dix-huit ouvrages traduits en français depuis 1966. Leon Garfield est pourtant un remarquable écrivain tant par son univers que son écriture. Redécouvrir son œuvre relève de l'état d'urgence.

Né à Brighton dans le Sussex où il passe son enfance, il manifeste rapidement un intérêt pour la lecture et l'écriture. Ses sources d'inspiration sont variées : Tolstoï, Poe, Lewis Carroll, Andersen, Victor Hugo, Swift, Stevenson. La seconde guerre mondiale interrompt ses études d'art et il est intégré dans le « Medical Corps ». Après la guerre, il travaille comme biochimiste dans plusieurs hôpitaux londoniens tout en écrivant. A partir de 1970 il se consacre à plein temps à l'écriture. Son premier roman, Jack Holborn lui demande cinq années de recherches sur le dix-huitième siècle et l'univers de la navigation maritime. Traduit en français, il passe presque inaperçu probablement à cause de sa ressemblance avec L'Ile au trésor et d'une traduction réductrice.

Le succès sur le continent viendra avec ses romans « à la Dickens » se déroulant dans l'Angleterre du dix-neuvième siècle, très souvent dans les bas quartiers de Londres, avec pour héros des enfants privés d'attaches, à la recherche de leurs origines.

Mais la parenté avec Dickens s'arrête là car l'œuvre de Leon Garfield se caractérise par une écriture sans misérabilisme, soucieuse de petits détails véristes, mêlant poésie et humour décapant voire macabre.

L'intrigue parfois labyrinthique, imbriquée dans d'autres événements, passe au second plan car elle n'est qu'un fil d'Ariane dans le parcours initiatique du héros. Le thème récurrent de ses romans est en effet la quête d'identité, volontaire ou fortuite : dans La Montre en or, Nick cherche un père de complaisance afin que sa sœur puisse aller à l'école ; durant tout le roman, le faux père ne supportera jamais la comparaison avec le papa du souvenir : « J'arrête pas de te répéter que notre papa c'était un colosse grand comme une église ». En fin de compte, après bien des détours, tous deux trouveront une famille, pas vraiment celle dont ils rêvaient, mais une famille tout de même.

Le jeune héros quant à lui, est toujours dépositaire d'un secret, d'un objet, d'un message dont l'importance ou la signification lui échappe (un peu comme l'objet magique des contes de fées) ; la résolution du mystère se révèlera d'ailleurs secondaire en regard du chemin parcouru, mais elle est l'aboutissement d'une quête parfois désespérée, l'événement qui donnera un tour favorable à sa vie.

Les personnages sont en demi-teintes, ni tout à fait bons, ni vraiment mauvais, et l'auteur n'hésite pas à pratiquer le changement de point de vue, procédé rare dans le roman destiné à la jeunesse ; ainsi, dans Le Fantôme de l'apothicaire, le « méchant » se révèle finalement humain et généreux, le véritable monstre étant « l'innocent » de l'histoire, qui, heureusement, aura l'occasion de se racheter. De même, il n'enjolive rien et n'hésite pas à montrer la crasse des arrière-salles, la cupidité, la haine ou la lâcheté des protagonistes.

Enfin, on peut aussi évoquer l'inventivité des métaphores, le style superbement imagé :
Il y avait plusieurs voix et, petit à petit, il parvint à les différencier. Il y en avait une qui était douce et dépouillée comme un os, et une autre qui devait sortir d'un gros ventre ballottant dans sa graisse. Il y avait une dame qui riait dès qu'elle ouvrait la bouche pour dire quelque chose, et aussi une quatrième voix à laquelle il était difficile de donner une forme. C'était une voix d'où se dégageait une sorte de sifflement, comme si elle était bordée par une lame capable de trancher le silence sans même le faire saigner. (La Rose de décembre).

Leon Garfield avoue n'avoir jamais voulu écrire pour un public particulier. La publication de son premier roman dans une collection pour adolescents relève d'un choix de l'éditeur :
« On n'écrit pas pour les enfants, on écrit avec assez de clarté, de vigueur et de sincérité pour que les enfants puissent comprendre ce qui est dit. Les adultes peuvent tolérer d'éventuelles défaillances, les enfants sont moins indulgents. Ils ne doivent jamais s'ennuyer, ne fut-ce qu'un instant. Il faut absolument croire à ce qu'on écrit et avoir un besoin réel de convaincre le lecteur que ce qui est écrit est absolument vrai ». (Something about the Author, vol 32, Gale Research Company, 1983).





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