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Grasset, 1949
Hervé BAZIN

(1911-1996)


La Tête contre les murs

Retrouvé par hasard sur mes étagères, j’ai dû surmonter une certaine prévention avant de rouvrir ce livre. Sans doute à cause du titre, qui suggère l’histoire, peut-être outrée, d’un homme enfermé à vie. Je lis cependant les premières pages. Certes, des exagérations dans le casse de la maison familiale, et aussi dans l’accident, causant à Arthur, le héros, de multiples fractures. Mais quand je vois celui-ci enfermé dans un hôpital psychiatrique, maintenu dans son lit, sous l’emprise des infirmiers et des médecins, une évidence s’impose à moi : cela ne peut être inventé. Je me jette alors sur la biographie de l’auteur pour trouver dans le roman un fort ancrage dans son existence réelle. On y découvre en effet une même fuite de la maison familiale, avec le véhicule du père, également un accident, puis un internement en hôpital psychiatrique. Cela relance mon intérêt pour ce livre, qui retrace plusieurs longues périodes de réclusion dans ces institutions, entrecoupées de brèves sorties ou évasions. Mais le roman ne peut être pris au premier degré. Bazin ne nous confie-t-il pas : « Ecrire, c’est un aveu doublé d’un camouflage ».

Une confession à l’abri de la fiction.
Le parti pris narratif, en effet, diffère ici de celui de la trilogie plus ouvertement autobiographique, démarrée par Vipère au poing 1, et énoncée à la première personne. La Tête contre les murs, roman à la troisième personne, revêt donc un statut particulier, pour relater une portion tumultueuse de la vie de l’auteur. Cette période soulève nombre de questions qui se heurtent à l’absence de données biographiques solides2. Le livre apparaît ainsi comme une confession qui émerge sous couvert de fiction. Les outrances manifestes peuvent être vues tantôt comme une condition pour faire tenir debout le récit aux yeux d’un lecteur, tantôt comme une protection que se ménage l’auteur, en brouillant les cartes quant à son rôle dans les épisodes rapportés.

L’arrestation et la mise en détention d’Arthur dans une prison font l’objet d’une description minutieuse3, totalement convaincante. Quand la porte de la prison se referme sur le personnage, seul dans sa cellule, on est « dedans », avec lui, fait comme un rat. Cependant, la narration ne prend pas le temps de nous montrer, de l’intérieur, Arthur encaissant le terrible coup de la porte de fer, qui résonne dans le silence carcéral, et qui ne peut manquer de résonner en lui, comme le sinistre gong de l’irrémédiable.

Tout au long des pages, Bazin porte, réflexe peut-être hérité de son expérience de journaliste, une attention constante au lecteur, constamment stimulé au moyen de formules insolites, voire de détails inventés de toutes pièces, comme la trajectoire d’une glaire4 propulsée par un personnage et minutieusement décrite.

Indubitablement efficace, la narration repose cependant sur des bases forcées : le vol chez les parents, les longs enfermements dans les institutions psychiatriques, ainsi que l’évasion, la fuite à la faveur de l’exode de la 2ème guerre, l’échappée par les toits, suivie de la chute 5… Dans ces dernières scènes, en particulier, comment adhérer à l’accès de jalousie subite et furieuse d’Arthur contre sa femme, le poussant à tout détruire, ce qui provoque immanquablement l’arrivée de la police ?

Une exubérance d’images, un peu datée ?
La richesse du vocabulaire ainsi que la multiplicité des tournures heureuses sont ici frappantes. Toutefois, à mes yeux de lecteur du 21ème siècle, l’abondance des images finit par alourdir le texte. La lecture récente de La Vagabonde6, de Colette, me conduit aux mêmes remarques : ce feu d’artifice d’images, souvent éblouissantes, rend la lecture quelque peu besogneuse. C’est aussi le cas pour Thérèse et Isabelle7, de Violette Leduc, récit extraordinairement érotique de la liaison entre deux collégiennes, où la force et la nouveauté des images me laissent sidéré.

La prolifération métaphorique pose la question du style, dont les critères d’appréciation varient selon les époques. L’écriture consiste-t-elle en l’accumulation de formules brillantes pour soutenir le récit, ou bien dans la capacité de celui-ci à nous plonger dans la situation vécue par les personnages ? Dans ce dernier cas, l’auteur se tournera vers des moyens d’expression innovants pour immerger son lecteur dans l’univers intérieur du personnage, soumis à tel ou tel événement extérieur ou à un mouvement psychique : états-limites, passion amoureuse, ennui, torpeur…

Avec la fin du 20ème siècle, nous assistons, semble-t-il à un tel tournant avec, par exemple, L’Homme qui dort, de Georges Perec, où l’on pénètre dans l’état dépressif du narrateur-personnage ; avec La Courte lettre pour un long adieu, de Peter Handke où, depuis sa chambre d’hôtel, le personnage regarde le clignotement des néons, ce qui comme par osmose, nous saisit d’une angoisse diffuse…

Arthur aux prises avec la folie familiale.
Les internements successifs du personnage central, sous le coup de l’intervention du père, qui est procureur, sont-ils vraisemblables ? À tout le moins, le lecteur est dépourvu de la « fiche technique » qui montrerait les enchaînements juridiques permettant ces mises en détention successives.

La cartographie des hôpitaux psychiatriques, dressée dans ces pages, est certainement impressionnante. Mais la dimension clinique nous échappe : la folie de Roberte, sœur d’Arthur, fait irruption sans crier gare, à l’occasion, semble-t-il, d’une forme de psychose puerpérale8. Celle-ci réveille le monstre de la folie familiale, pour précipiter le personnage dans une spirale sans fond, jusqu’à l’état de grabataire.

De même, évoquée tout au long du livre, la maladie mentale chez Arthur, est peu convaincante : on ne sait au juste en quoi elle consiste. Faut-il en lire les symptômes dans l’instabilité du personnage, dans son comportement passablement irresponsable, voire anti-social ?

Ainsi, le livre semble délaisser l’approche clinique pour privilégier la question du – mauvais - traitement de la maladie mentale dans les institutions. Il n’en reste pas moins que le roman jette avec force un pavé dans la mare : il braque une lumière crue sur une réalité dont l’auteur a souffert : le traitement indigne de la maladie mentale dans la société, conduisant à l’enfermement à vie, parfois sans raison suffisante.

Dominique Perrut 
(26/06/23)    


1 Vipère au poing, Grasset, 1948 ; La Mort du petit cheval, 1950 ; Le Cri de la chouette, 1972.

2 La biographie de C. & Ph. Nédelec, Dans les pas d’Hervé Bazin, Éd du Petit pavé, 2008, reste très évasive sur cette période.

3 Aux chapitres 11 et 12.

4 P. 421.

5 P. 420, pour cette dernière scène.

6 Colette, La Vagabonde, Albin Michel, 1910.

7 Violette Leduc, Thérèse et Isabelle, 1966, édition censurée, 2000, édition intégrale.

8 P. 143.




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Pour mémoire









Hervé Bazin
(1911-1996)


Bio-bibliographie sur
Wikipédia

























































Le roman a été adapté
au cinéma en 1959
par Georges Franju
avec
Pierre Brasseur
Paul Meurisse
Jean-Pierre Mocky
Anouk Aimée
Charles Aznavour


(Disponible sur Arte
jusqu'au 31/08/23)