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La famille Argyle vit tranquille, ou à peu près, depuis que la mère, Rachel, a été assassinée et son meurtrier arrêté. Stérile, Rachel Argyle avait adopté cinq enfants : Mary, Jacko, Hester, Micky, Tina, tous orphelins, ou abandonnés, ou maltraités. C'était une femme admirable, qui avait ouvert un home d'enfants pendant la guerre, qui dispensait ses bienfaits. Son fils Jacko a été jugé coupable du meurtre de sa mère adoptive. Il n'a cessé de crier son innocence, arguant qu'il avait un alibi : il avait été pris en stop à l'heure du meurtre. Mais l'enquête n'a pu établir la véracité de ses dires, et il est mort en prison. Jacko, c'était le mouton noir de la fratrie : violent, menteur, réclamant sans cesse de l'argent à sa mère. Kirsten, qui travaillait au home d'enfants et qui n'a pas quitté la famille Argyle après la guerre, le jugeait "malfaisant". Et voilà que deux ans plus tard, Arthur Calgary frappe à la porte de la maison des Algyre. Il est le "témoin indésirable" : c'est lui qui a pris Jacko en stop le soir du meurtre, mais une commotion cérébrale et un long séjour au pôle l'ont tenu éloigné, il ne savait rien de l'affaire. C'est un homme droit, qui veut que justice soit faite. Agatha Christie distille lentement, et savamment, le poison qui ronge la famille Algyre. Si Jacko n'est pas coupable, l'assassin ne peut être qu'un autre des enfants, ou l'époux Léo, ou sa secrétaire-fiancée Gwenda, ou Kirsten, la fidèle gouvernante. Personne n'aimait vraiment Rachel, au fond. Elle était trop attachée aux enfants, ne se trompait jamais, aimante et infaillible, passablement insupportable. L'irruption d'Arthur Calgary dans une situation qui satisfaisait tout le monde le frère et fils délinquant en coupable idéal dérange une harmonie retrouvée. Il y a un plaisir exquis à relire les romans d'Agatha Christie que l'on
a découverts dans sa jeunesse. On les lisait en essayant de découvrir
l'assassin, en pestant contre les fausses pistes, en attendant la surprise finale.
On les relit, l'âge venu, en goûtant la finesse de l'analyse psychologique,
en râlant contre quelques répliques vaguement machistes des policiers
chargés de l'enquête, en appréciant la tenue littéraire
du texte. Les pages d'ouverture de Témoin indésirable prouvent
à quel point Agathe Christie était un véritable écrivain.
Le premier chapitre, centré sur Arthur Calgary, n'a rien à envier
à tel ou tel roman célébré qui raconterait le retour
au pays d'un homme porteur d'un lourd secret, s'apprêtant à le
dévoiler et s'interrogeant sur le bien-fondé de sa démarche
: Le monde décrit par Agatha Christie, sous l'artifice du roman à
énigme, du whodunit, est terrifiant à plus d'un titre :
les hommes et les femmes, victimes ou assassins, sont rarement ce que l'on pouvait
espérer qu'ils soient. Il y a des souvenirs d'Atrides dans cette uvre
dans l'uvre complète , des pulsions sexuelles ou amoureuses
inavouables, des trahisons avérées mais justifiées, des
luttes de classes renversées. On passe, en transitions ouatées,
délicieusement vachardes, d'un monde ancien à un monde moderne,
de valeurs établies au renversement des mêmes valeurs. Nous qui
pensions qu'Agatha Christie tricotait le destin de personnages surannés
qui parlaient entre deux scones et deux tasses de thé de l'Empire des
Indes, voilà que dans Témoin indésirable, il est
fait allusion au Spoutnik, soudain. C'était sans compter avec la longévité,
et l'acuité visuelle moderne, au plus près du monde
de la vieille dame. Après Témoin indésirable, elle
publiera encore vingt romans. De 1920 à 1976, elle aura ajusté
au plus près sa prescience du genre humain, et sa connivence avec ses
semblables. Un mot sur cette édition particulière de Témoin indésirable
: la couverture est une photographie de Martin Parr. On y voit une cravate tricotée
de rouge sur une chemise quadrillée de rouge elle aussi, une veste pied
de poule serrant un ventre légèrement proéminant, deux
mains gantées de maniques à fleurs tenant une pile d'assiettes
également fleuries. L'intérieur de la couverture évoque
les tissus, fleuris eux aussi, dont on tendait les murs, dans les tons rouges,
là encore, mais un peu passés. Aucun indice n'est décelable,
dans cette présentation, en ce qui concerne la résolution de l'énigme
et le nom du véritable assassin. Pourtant, le malaise sourd, inévitable.
Christine Bini (13/11/13) Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/ |
sommaire Pour mémoire Agatha Christie (1890-1976) a publié 66 romans, 154 nouvelles et 20 pièces de théâtre. Bio-bibliographie sur Wikipédia Martin Parr, né en 1952, est un photographe britannique. Bio-bibliographie sur Wikipédia Ordeal by innocence 1958 Première édition en français Traduction : Jean Brunoy 1959 Am Stram Gram disponible en dvd |
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