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Salman RUSHDIE


La cité de la victoire


Deux cent cinquante ans d’histoire d’une ville créée de toutes pièces, sortant de terre grâce à un sac de graines. Une imagination féconde est assurément à l’œuvre dans le nouveau livre de Salman Rushdie La cité de la victoire. Pourtant le livre n’est pas le fruit seulement du fourmillement de l’imagination très fertile de son auteur. Très jeune, et donc il y a longtemps, il a visité les ruines d’un État indien qui a jadis existé, Vijayanagara. Si l’histoire de cet empire, qui dura de 1336 à 1565, demeura très mal connue, l’étonnement fut pour Salman Rushdie, outre cette création d’un empire surgi de nulle part qui domina ensuite une partie de l’Inde, à cette époque, qu’il existait aussi de grandes libertés pour les femmes. Il y avait autant d’écoles de filles que d’écoles de garçons, ou pratiquement. Les femmes occupaient toutes sortes de postes aussi bien dans l’armée que d’autres domaines comme avocates ou poétesses. Intrigué de voir qu’il y a sept cents ans, la condition des femmes en Inde était meilleure que celle d’aujourd’hui, qu’il juge plus rétrograde, et constatant un féminisme qui n’était pas fictif mais attesté dans les archives historiques, l’idée d’écrire La cité de la victoire est née.

La narration est laissée à un inventeur découvrant le manuscrit de la créatrice de la cité, Pampa Kampana qui conte un poème consacré à Bisnaga, la capitale de cet empire. Ce manuscrit, rédigé en sanskrit, est resté caché dans une jarre en argile scellée pendant quatre cent cinquante ans. Aussi le narrateur entreprend de transcrire cette poésie en langue simplifiée tout en respectant l’esprit de la conteuse.
« Pampa Kampana décida d’évoquer à la fois la ville et l’empire sous de nom de "Bisnaga" tout au long de son poème épique, dans l’intention peut-être de nous rappeler par-là que, même si son poème s’inspire de faits réels, il existe une distance inévitable entre le monde imaginaire et le monde réel. "Bisnaga" n’appartient pas à l’histoire, mais seulement à elle. Après tout, un poème n’est pas un essai ni un reportage. La réalité de la poésie et l’imagination suivent leurs propres lois. Nous avons choisi de nous laisser guider par Pampa Kampana, c’est donc sa ville imaginaire de "Bisnaga" qui est ainsi nommée et décrite ici. Toute autre interprétation reviendrait à trahir l’artiste et son œuvre. »

Pampa Kampana, âgée de neuf ans assiste à l’immolation, sans raison puisque son père est mort bien avant, de sa mère se jetant dans un brasier allumé en signe de protestation par des femmes de guerriers vaincus lors d’un dernier conflit. « Ce fut à cet instant qu’elle reçut la bénédiction céleste qui allait tout changer car la voix de la déesse Pampa, aussi vieille que le temps, se mit à parler par sa bouche d’enfant de neuf ans. » La déesse charge Pampa Kampana de se battre pour la cause des femmes en lui accordant des pouvoirs magiques et de s’assurer que plus aucune femme ne sera brûlée de cette façon à cet endroit précis, celui de la future Bisnaga, autrement dit La cité de la victoire. La cause des femmes passe, implicitement, par la reconnaissance masculine de leur égalité dans tous les domaines de la vie politique, sociale et guerrière voire amoureuse. L’engagement de Pampa Kampana rencontre beaucoup d’hostilité, des périodes fastes et d’autres tragiques et meurtrières. Elle finit sa vie aveugle, les yeux arrachés, dictant sans relâche son poème.

La création d’une ville ex nihilo est également un beau pari d’écriture pour un écrivain. Salman Rushdie mêle à une imagination tourbillonnant entre fantastique et fabuleux, une lecture historique de Vijayanagara influencée par les situations actuelles de notre monde contemporain et faisant écho à ces dernières imbriquées habilement en maints paragraphes tout comme les références érudites. Comme l’histoire de la vie de Pampa Kampana va durer deux cent cinquante ans, il s’applique à nous tenir attentif à la narration, parfois sinueuse, en répartissant l’intrigue en quatre périodes : naissance, exil, gloire et chute. Cette vie de Pampa Kampana est donc composée de multiples péripéties et considérations dont la principale est de donner à la femme autant de liberté et de respect qu’aux hommes, sans oublier la tolérance et la place du religieux. Malheureusement la malice, la violence et la démesure semblent inhérentes à la nature humaine et ne sont pas éradiquées malgré tous les efforts de Pampa Kampana . Ajoutons que pour sauvegarder sa domination, la ruse masculine, toujours pleine de ressorts et de penchants tortueux, n’est pas en reste pour entraver les attentes de Pampa Kampana et rétrécit encore plus les esprits. Une histoire oscillant entre espoirs et échecs, mais la déesse avait prévenu Pampa Kampana, la générosité divine est à double tranchant et, de plus, les personnages du roman possèdent un libre arbitre dont Salman Rushdie dispose adroitement pour insuffler plus de désordre. Reste à Pampa Kampana le « lâcher-prise », se contenter de quelques réussites mais cela est-il satisfaisant quand on fait le rêve d’idéaux pourtant accessibles, que chaque avancée est suivie d’un recul plus important ? Finalement, le livre de Salman Rushdie La cité de la victoire n’est pas le livre d’un doux rêveur à l’imagination débordante se délectant dans le passé mais l’ouvrage d’un véritable écrivain, lanceur d’alerte, ancré dans notre réalité contemporaine.

Michel Martinelli 
(29/09/12)    



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Lectures







Salman RUSHDIE, La cité de la victoire
Actes Sud

(Septembre 2023)
336 pages - 23 €

Version numérique
16,99 €


Traduit de l’anglais par
Gérard MEUDAL









Salman Rushdie
né àBombay en 1947,
a publié de nombreux ouvrages : romans, nouvelles, essais, autobiographie...

Bio-bibliographie sur
Wikipédia





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