Trois personnages qui s’expriment dans trois styles différents sont les protagonistes de ce roman.
- Eleazar Luna, ouvrier dans une mine de salpêtre du désert d’Atacama, le « bouffeur de livres » se passionne pour la poésie. Il parle à la première personne, on comprend aisément qu’il est le double de l’auteur dont il a la même biographie.
- Leda, une jolie jeune fille, élue « Reine du Printemps » à un concours de beauté, dont Eleazar tombe amoureux fou, et qui ne s’exprime qu’à travers les lettres qu’elle adresse à sa sœur jumelle défunte.
- Rosario Fierro, était gardien de chèvres. Il cherche du travail et montre des dispositions pour la boxe. L’auteur parle de lui à la troisième personne du singulier.
Le désert d’Atacama est désespérant de tristesse, de poussière, de journées chaudes et de nuits glaciales. Et dans ce désert, l’esclavage salarié, la tyrannie des chefs d’équipe, la folie des hommes.
Il y a aussi les putes, incontournables, attachantes, à qui l’auteur a consacré un livre, La Reine Isabel chantait des chansons d’amour.
Ces trois personnages réunis dans un roman auront un destin bien différent.
Eleazar connaîtra d’abord l’injustice et le harcèlement du chef d’équipe mais il ne bronche pas et finit par gagner son estime. Il suit des cours du soir et découvre la poésie puis la littérature. Il écrit des poèmes qu’il adresse à Leda.
Rosario s’entraîne avec acharnement à la boxe pour se préparer à un combat national. Contre toute attente, il sort vainqueur du combat et en profite pour séduire Leda. Mais tout finira mal pour lui.
Leda, après avoir été déçue par Rosario, se désintéresse des hommes et sombre dans la nostalgie.
Pour supporter cette vie de peine, de « solitude pachydermique », Eleazar apprend à lire et à écrire. Cette découverte le comble de joie ;
Depuis que j’avais appris à déchiffrer les premières lettres, j’éprouvais le besoin quasi physiologique de lire, lire tout ce qui était à portée de main. Lire. Lire comme un drogué. Puis, en commençant à écrire, ce besoin s’intensifia jusqu’à prendre l’habitude d’un nécessiteux qui ramasse et lit, assis par terre, le moindre bout de papier imprimé emporté par le vent.
Il va utiliser chaque moment de liberté pour lire, dans les wagons qui l’emmènent à la mine, pendant les pauses. Et lorsqu’il marche, le rythme de ses pas dicte les vers de ses poèmes.
Il y a aussi de l’humour dans ce roman. L’appellation « Reine du Printemps » pour cette région du monde qui ne connaît pas cette saison peut sembler dérisoire car les fleurs du désert d’Atacama ne s’épanouissent qu’un jour par an.
Le personnage de Rosario, mauvais boxeur mais sûr de lui, arrogant, macho et violent, avec sa coiffure en banane est un tantinet caricatural.
Hernán Rivera Letelier a un vrai talent de conteur. Il nous fait ressentir le travail abrutissant, assoiffant, dangereux. Mais aussi la force de l’esprit nourri de littérature qui permet de s’échapper de ce calvaire.
Nadine Dutier
(14/06/23)
